Tsui Hark ne fut pas le seul cinéaste inspiré par la vague tentative d'attentat commise par une poignée de jeunes à la fin des années 70. L'inconnu Hoh Hong Ming utilisa également ce fait divers pour construire son Bomb-Shell, tourné la même année que son alter ego Tsui Harkien. Mais le traitement qui est fait de cet évènement par les deux longs métrages est bien différent. Là où Don't Play With Fire l'utilise pour pousser un cri de rage désespéré, The Bomb-Shell ne cherche pas à choquer son public, préférant une approche plus divertissante. Dans tous les cas, il faut croire que le fameux fait divers ne passionnait pas plus que cela le public local puisque les deux œuvres se ramasseront au box office Hong Kongais.
Tout comme Don't Play With Fire utilisait deux intrigues parallèles dans sa narration (les jeunes désoeuvrés d'un coté, les trafiquants d'armes de l'autre), The Bomb-Shell ne se concentre pas uniquement sur son histoire de poseur de bombe mais explore diverses intrigues à la fois dans son scénario. Ainsi, une bonne partie du film est consacrée à la vie courante de Norman Chu et sa petite famille. On peut même carrément dire que toutes les apparitions de l'acteur dans la première moitié du métrage ne lui servent qu'à afficher une tranquille désinvolture, que ce soit en déconnant avec sa femme ou en jouant au rubik's cube avec son fils. Parallèlement, le film nous expose le quotidien du futur poseur de bombes mais se concentre également beaucoup sur son grand frère, un gangster psychopathe adepte de la boxe spirituelle. Beaucoup d'éléments à développer donc qui ne parviennent que laborieusement à converger dans la même direction lors du dernier tiers.
Car vouloir lier ensemble autant d'intrigues différentes en un tout cohérent et dramatique ne manque pas d'ambition mais s'avère au dessus des forces de son réalisateur.
Ce dernier s'en sort plutôt bien quand ils suit le quotidien de ses policiers, que ce soit lors d'interventions musclées (le jeune Shing Fui On en fera les frais) ou dans leur vie privée. Grâce à cette description réaliste, on s'attache un minimum aux personnages, juste ce qu'il faut pour se sentir concerné quand le malheur frappera à la porte (voir la séquence vidéo clip où Chu dévoile sa tristesse, plutôt touchante). Tout au plus peut on reprocher à certains de ses passages de s'étirer un peu en longueur sans que cela fasse avancer le film dans son ensemble.
Malheureusement, si Hoh Hong Ming semble savoir où aller quand il décrit la vie de ses policiers, c'est beaucoup moins le cas de son apprenti terroriste. Souvenez-vous, dans Don't Play With Fire, ce sont eux qui sont les « héros » du film, plaçant le spectateur dans une position inconfortable par rapport à ses références habituelles. Pas de ça ici, Sam est clairement décrit comme un méchant, un authentique danger pour la société. Une posture rassurante pour le public mais après tout, cohérente avec la démarche plus divertissante du film. Le problème, c'est que sa psychologie est à l'avenant, grossière et mal foutue. En effet, si ce brave Sam se lance dans le terrorisme du pauvre, c'est parce qu'il a le béguin pour une actrice et qu'il ne supporte pas de la voir maltraitée à l'écran (il se met à écraser des oranges avec ses petits doigts musclés en beuglant quand cela arrive, subtil moyen pour le réalisateur de nous faire comprendre qu'il va vouloir se venger). On aimerait croire que Hoh cherche à dénoncer de la sorte l'influence de la TV sur les volontés faibles mais ce serait probablement lui accorder trop de crédit... Notre réalisateur veut un méchant clairement identifiable, clairement condamnable, sans remettre en cause le moindre du monde la société (ou ses dysfonctionnements tout du moins) qui l'a fait naître. Dans ces conditions, on ne s'étonnera même pas que, malgré un QI manifestement peu brillant, ce terroriste du dimanche parvienne à fabriquer bombes et autres pièges et à s'infiltrer quasiment n'importe où.
Le réalisme de l'entreprise prend également un sacré coup dans l'aile avec le personnage du grand frère de Sam. Ce dernier est un gangster sans pitié, typique de ce que les polars d'exploitations peuvent fournir en quantité. Tout le segment narratif le concernant rapproche The Bomb-Shell d'un classique polar avec ses policiers combattant les triades. Le nœud dramatique du film tenant aux répercussions des agissements de Sam sur la vie de Chui, sa présence est plus parasitante qu'autre chose. Témoin, cette séquence de vol chez un couple de gweilos ne menant pas à grand-chose au sein du film dans son ensemble. Peut être faut il y voir l'expression du refus de la domination Britannique mais, si c'est le cas, la grossièreté de l'entreprise empêche qu'on lui accorde le moindre sérieux. Le seul avantage que semble avoir le personnage, outre un certain charisme grâce au jeu monolithique de Tong, c'est de permettre de placer quelques scènes d'actions bien troussées (un combat sur le toit d'un immeuble tout particulièrement) à intervalles réguliers. Sa psychologie sommaire où ses pratiques étranges (un pratiquant de la boxe spirituelle dans le HK des années 80 ??) n'est pas vraiment gênante tant il semble sorti tout droit d'un comic book.
Cette dernière orientation n'aurait-elle pas mieux fait d'être au centre du film ? Car, l'utilisation du célèbre fait divers de pose de bombes par des jeunes comme cœur de récit imposait un traitement réaliste et/ou social. Cela, Tsui Hark l'avait bien compris en réalisant son Don't Play With Fire. Même si le résultat fut au final brinqueballant, il y avait une authentique volonté de questionnement sur la société Hong Kongaise, l'expression d'une colère sociale, qui continue à se sentir aujourd'hui et fait la force de l'œuvre. The Bomb-Shell est bien trop grossier dans ces domaines pour pouvoir prétendre à la même reconnaissance. Il ne reste plus qu'un film gentiment divertissant qui aurait gagner à assumer ses propres limites.