Comme des milliers d’immigrés juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale, Laszlo Toth, architecte reconnu dans son pays, se retrouve désemparé dans cette Amérique qui ne lui laisse que deux perspectives d’avenir peu reluisantes : Renier tous les traits de son identité hongroise pour mieux se fondre dans le moule comme son cousin Attila, ou offrir ses talents artistiques au grand capital américain. Et si la deuxième option semble être la plus avantageuse, la suite lui prouvera que le prestige de son statut n’en fera jamais l’égal du riche propriétaire qui l’emploi et à qui il reste donc totalement assujetti. Heureusement, le temps fait toujours son œuvre et si les autocrates sans cervelles finissent par trépasser, ses constructions elles demeurent et seront un jour ou l’autre reconnu à leur juste valeur.
Dans la presse, Brady Corbet est souvent comparé à Paul Thomas Anderson, ce qui peut se comprendre, tant il est facile de tisser des liens entre There Will Be Blood et The Brutalist. Il y a en effet dans ces deux long-métrages une volonté commune de raconter par l’image, la rivalité sous-jacente entre deux personnages au statut complémentaire, se livrant à un jeu de pouvoir permanent dont le riche capitaliste sortira vainqueur dans les deux cas. Mais cette comparaison permet aussi d’observer très nettement la différence entre une œuvre ambitieuse qui met les moyens nécessaires pour apporter à son histoire la puissance émotionnelle qu’elle mérite ; et un film prétentieux alourdissant son scénario par des artifices dispensables.
Car si l’on peut entendre que Corbet ait voulu donner du poids à un récit foncièrement intimiste, ou qu’il ait souhaité prendre son temps pour rendre compte de toute la déchéance de Laszlo avant que sa route ne croise celle de son généreux mécène ; absolument rien ne justifie ce tournage en VistaVision ou cette structure de péplum en 2 parties, avec intro, épilogue et entracte de 15min au milieu ; surtout quand la première partie n’est qu’une gigantesque exposition d’1h40 !
Je peste déjà assez contre les séries construites comme des films de 10 heures, c’est pas pour me retrouver devant une mini-série de 4h au cinéma. Surtout que, franchement, quel est l’intérêt d’une telle structure, si ce n’est apporter un cachet de prestige à un projet qui en est fondamentalement dépourvu ? Le film serait sorti sans entracte, avec une exposition réduite à 30 minutes et débarrassé de cet habillage superflu, il aurait eu l’air d’un film d’auteur longuet comme tant d’autres et la presse ne s’y serait peut-être même pas attardée. Mais dès lors qu’il se présente comme une grande fresque de 3h35, ça en fait forcément un projet digne d’intérêt. Parce que tout d’un coup, il se met à avoir la carrure d’un grand film. On se dit qu’une œuvre arborant une forme aussi couillue ne peut pas être autre chose qu’un chef d’œuvre et ainsi, il lui suffit d’honorer ce maigre engagement pour être considéré comme tel.
Or, non content d’étirer inutilement son récit pour remplir son astronomique durée, le film se montre globalement assez pauvre sur le plan de la mise en scène, comme sur celui de l’émotion. C’est l’encéphalogramme plat tout du long. On suit les évènements sans ressentir une once d’empathie pour les protagonistes et sans qu’aucun moment fort ne se distingue du lot, même les plus anxiogènes, car tout est traité au même niveau, constamment filmé de la même manière, avec ce même rythme lent et faussement atmosphérique.
Ainsi, si le propos du métrage fait sens dans son écriture, lorsque l’on prend le temps de réfléchir à ce qui nous ait raconté et de remettre tous les éléments du script en perspective, jamais il ne s’incarne véritablement à l’écran. On ne ressent pas assez cette tension sous-jacente entre le mécène et son architecte, on ne sent pas suffisamment la difficulté de Laszlo à être un juif vivant au milieu de tous ces bourges hypocrites et racistes. Le film se répète sans cesse, se perd dans de nombreuses digressions dispensables (dépendance à la morphine, impuissance de Laszlo, problèmes conjugaux, longue escapade dans les montages italiennes…) à tel point que, même en étant très peu subtil dans ses intentions, son récit en devient malgré tout confus, voire maladroit. En témoigne cette scène de viol dans la seconde partie, qui semble avoir la même portée symbolique que le meurtre de Daniel Day-Lewis dans There Will Blood, sauf que l’idée est si mal amenée, qu’elle apparaît juste comme une séquence gratuite et inutilement graveleuse.
Je pense qu’avec un remontage, il y aurait moyen de faire un bon film. Ce ne serait sûrement pas un chef d’œuvre, mais ça aurait peut-être le mérite d’être au moins plus aboutit et prenant que dans sa version actuelle. Sauf que visiblement en 2025, la forme comptant plus que sa réussite artistique ; pour faire un chef d’œuvre, il suffit que votre film en ait les apparts, afin de pouvoir être marqueté comme tel. Pas besoin de plus pour passer les sélections des remises de prix annuelles. Heureusement, le temps fait toujours son œuvre et si les films à oscars sans intérêts finissent par être oubliés, les longs-métrages authentiques eux demeurent et seront un jour ou l’autre reconnu à leur juste valeur.