L'art de la fresque, au cinéma, n'est jamais une chose aisée.
Les plus mémorables ont été accomplies par les plus grands : Martin Scorsese, avec un film comme Casino ou ses sagas mafieuses, Stanley Kubrick, via Barry Lyndon, ou encore Paul Thomas Anderson avec son monumental There Will Be Blood.
Il est manifeste que The Brutalist essaie de planter ses racines dans les traces du dernier nommé, en exécutant lui aussi un portrait fort peu reluisant de l'Amérique.
Tout en émulant le principe du très récent La Zone d'Intérêt, dans une séquence d'ouverture des plus déstabilisantes, faisant comprendre à la fois ce qu'était l'enfer des camps de concentration et la douleur de l'exil.
L'ambition est manifeste. Elle rend d'autant plus curieux que récemment, Francis Ford Coppola s'était de nouveau frotté à une fresque démiurge de la figure américaine et avait subi un cuisant échec. D'autant plus que les deux premières œuvres de Brady Corbet étaient tout simplement passées inaperçues.
Le tour de force le plus impressionnant de The Brutalist est de susciter l'intérêt trois heures trente durant sur un sujet totalement dénué de sex appeal ciné. Tandis que l'Amérique des années 50/60 est tout simplement glaçante. La faute à un Guy Pearce tout simplement magistral.
Soit un pays qui corrompt tout ce qu'il touche. Soit des riches qui se jouent des beaux esprits, tout en se réjouissant de pouvoir les rencontrer et de se masturber intellectuellement à leurs dépens. Soit un argent qui permet de tout acheter, même les hommes et les talents.
Mais aussi un pays, et une communauté, qui continuent d'ostraciser, d'humilier, et de mâcher consciencieusement les corps et les âmes pour mieux les recracher et tenter de fertiliser leurs terres.
Corbet raconte ainsi l'illusion du rêve américain, son envers cauchemardesque et les fondations plus que fragiles d'une nation sans racines et sans identité, soit l'exact contraire de la vieille Europe dont est issu Laszlo Toth.
Un authentique talent qui s'enfonce peu à peu dans les eaux sombres de son attraction morbide et de son désir d'intégration qui a tout de l'illusoire. Et qui donne naissance à un projet démesuré et grandiloquent aux allures de sarcophage, de funeste tombeau.
Mais si l'ambition de The Brutalist est manifeste, ses maladresses le sont parfois tout autant, quand il enchaîne des symboliques les plus lourdes, comme cette Lady Liberty renversée ou cette croix, toutes deux annonciatrices du désastre. Ou quand il se montre très complaisant, lorsque l'architecte entraîne son épouse dans sa chute.
Quant à la dernière scène du film, qui relève d'un véritable mode d'emploi, surlignant ainsi ce qui animait son héros, le masqué a eu l'impression qu'elle enlevait une part de ce que Corbet voulait sans doute inscrire dans une sorte de mythologie.
Si The Brutalist est sans doute l'attraction de ce début d'année, dès lors qu'il est de plus en plus rare de voir un film de cette ampleur, il n'est peut être pas le monumental chef d'oeuvre qui est parfois décrit ça et là, tant sa thèse est parfois surlignée, tant les images qu'il convoque manquent parfois de nuance ou dénotent comme un manque de confiance en son public de la part de Brady Corbet.
Mais voir ce gros bourrin de masqué faire la fine bouche fera certainement, aux yeux de certains, la preuve de toute la valeur de l'entreprise.
Behind_the_Mask, pas trop fan du béton armé.