Un restaurant londonien en ébullition

The Chef (2021) de Philip Barantini est un thriller dramatique britannique dépeignant les tensions et les nombreux problèmes que rencontrent le service d’un restaurant londonien moyen, le vendredi soir avant Noël (une des grosses soirées de l’année).

Basé sur l’expérience du réalisateur qui a travaillé pendant 12 ans dans la restauration en parallèle de sa carrière d’acteur, ce qui frappe dès les premières minutes, c’est le fait que ce film possède un parti pris fort : le plan-séquence.

Ne servant pas à époustoufler le spectateur (en mode- « Wow ! Comment ont-ils pu tourner ça ? »), le plan séquence est ici totalement au service de l’histoire. Renforçant l’immersion, ce choix technique donne à l’action une véritable sensation de réel, on oublie qu’on regarde un film pour rapidement faire partie de l’équipe nous aussi.

Par ce biais, le plan séquence offre donc la possibilité aux spectateurs d’arpenter le lieu dans ses moindres recoins afin de suivre les serveurs, la manageuse, les cuisiniers, le chef et même un plongeur, en cuisine, en salle, aux toilettes, dans le bureau, mais également à l’extérieur du restaurant pour attendre les urgences ou sortir les poubelles voir son dealer.

Ainsi, en tant que spectateur, nous sommes omniscients. Ceci a deux effets intéressants.

Pour commencer, nous faisons face à une multitude de micro-expériences avec des clients, tous différents les uns des autres :
- La table de riches-racistes
- Les pénibles influenceurs qui réinventent le menu et qui font du forcing pour un post sur Instagram
- Un cuisinier célèbre (sur le déclin) et une critique culinaire apparemment sévère annoncés à la dernière minute
- Un groupe de filles fortement alcoolisé souhaitant s’amuser en ce vendredi soir
- Un jeune homme drôle en début de soirée souhaitant faire sa demande en mariage devenant beaucoup moins sympathique quand sa soirée vire au cauchemar par la suite.

Ainsi, cette saturation d’informations, créée par le plan séquence, donne aux spectateurs à la fois une sensation d’angoisse permanente et d’inévitabilité :
Toutes les tables peuvent être sources de problèmes ; De plus, les futures grandes problèmes se cachent dans les petites erreurs (parfait exemple : une allergie oubliée).

Cependant, au-delà des rapports compliqués avec les clients, le film expose les nombreux conflits internes, au sein de l’équipe d’un restaurant.

En salle, la manageuse tente de satisfaire les clients au détriment même de sa propre relation personnelle avec son staff alors que les serveurs parlent au comptoir de leurs projets pour la soirée, chacun souhaitant être ailleurs : retard pour avoir été à un casting, promotion d’une soirée DJ directement aux clients.

En cuisine:
- les plats doivent être envoyés malgré le personnel débutant et non-compétent souvent perdu ou pris au dépourvu.
- Supportant à bout de bras toutes les commandes lorsque le chef déserte la cuisine, la sous-cheffe doit, quant à elle, tout de même batailler pour obtenir une augmentation (qu’elle n’obtiendra pas d’ailleurs).
- Toujours en retard, un plongeur est occupé à regarder un match de foot sur son téléphone pendant qu’une autre, enceinte, est exténuée par son travail et par la nonchalance de son collègue.
- Pendant ce temps, le timide commis pâtissier révèle, contre son gré, ses tentatives de suicide.

Au final, chaque membre d’un restaurant est seul (livré à lui-même) dans ce qu’il effectue ; toute l’équipe est déconnectée les uns des autres.

Au centre de tous ces enjeux, il y a le Chef (d’où le titre du film), Andy Jones, joué par Stephen Graham avec son accent écossais inimitable.
Le film rajoute donc, grâce à cette figure centrale du chef, un niveau de tensions puisque ce personnage est rempli de contradictions.

Pour cause, il peut être très énervé envers une personne puis revenir vers elle, quelques minutes plus tard, pour partager un moment de complicité comme si de rien n’était.
D’ailleurs, tout au long du film, il n’arrête pas de s’excuser et de faire des promesses, ce qui, par conséquent, leur enlève toute valeur.

Ses sautes d’humeurs peuvent s’expliquer par une diversité de problèmes qu’il rencontre : une addiction à l’alcool (la gourde qu’il traine tout au long du film) et à la cocaïne (dépendance au cœur d’une scène finale poignante résumant les paradoxes du personnage) ; des problèmes financiers (emprunt de 200 000 livres) et enfin, des problèmes personnelles (séparation et un déménagement récent + son absence aux yeux de son fils).

Toutefois, le film, 1h30 de plan séquence, fait ici simplement un constat.

The Chef n’est donc pas là pour délivrer un jugement de valeur sur le milieu de la restauration ou pour dépeindre le cuisinier comme un personnage marginal (en marge de la société), au contraire, c’est un reflet des tourments émotionnels pouvant être éprouvés fréquemment par le personnel d'un restaurant (on ressent le vécu).

En définitive, l’objectif du film est simple : il tend à générer une prise de conscience des conditions de travail et de la pression constante à tous les rangs, en cuisine ou en salle.

Dès lors, pour ceux qui n’ont jamais connu ces métiers, ce film permet donc par exemple de plus facilement comprendre la pénurie de main-d’œuvre dans ce secteur suite aux confinements (thème encore d’actualité). Pour les autres, ce film peut être une piqûre de rappel offrant l’occasion d'une rétrospection sur ses propres expériences passées.

The Chef = un film à voir en 2022

PS: Petit bonus à propos de ce film = une chanson signée par Sam Fender (Poltergeists) au générique de fin.

MrCaktus
8
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le 31 janv. 2022

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MrCaktus

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