L'avant-garde dans le domaine de l'art a ceci de passionnant qu'elle interroge nos rapports à la société et à ses codes, néanmoins comme le suggère intrinsèquement le nom même elle tient aussi le rôle d'augure et nous permet lorsque l'on redécouvre une oeuvre se réclamant de cette idée d'en saisir ou la pertinence troublante ou le fourvoiement total d'une vision fantasmée et plus encore le révélateur de l'époque où cette ouvre a été créée.
Avec ce film qui mêle à un absurde digne de Kafka la dénonciation d'une société régie par d'obscurs comités qui se font et se défont pour prendre les décisions de la société elle-même Peter SYKES tente dans un exercice qui tient plus de l'essai philosophique d'interroger notre rapport à la liberté individuelle. Ainsi alors que le film débute par une décapitation aussi brutale dans sa réalisation que le charme bucolique de la scène inondée du soleil d'un été radieux dans la campagne anglaise invite à la contemplation, le développement qui suivra cette introduction n'aura de cesse d'explorer deux faces d'une même pièce.
Quelques temps plus tard l'auteur de cet acte qui entre temps a repris sa vie normale, sa vie banale de petit employé de bureau se voit convoquer à l'un de ces comités. Dans quel but ?
A la fois très sage dans sa mise en scène, mais en même temps jouant sur nos perceptions grâce à d'infimes et discrets plans, jeux de miroirs ou cadre décalés, on plonge très vite dans un abîme d'incertitudes quant à la réalité qui nous est dépeinte. Sommes nous fous, ou bien sommes nous dans l'inconscient d'un meurtrier ou bien encore ce comité est-il une allégorie, une métaphore cherchant à décrire les rouages d'institutions plus puissantes que l'individu ?
Auréolé de l'atmosphère psychédélique du Londres de la fin des sixties, la musique de Pink Floyd, période Syd Barrett n'étant pas totalement étrangère à ce ressenti, et malgré quelques faiblesses qui nuisent à l'ensemble, on trouvera en germe dans ce film, les stades embryonnaires de cinémas tels ceux de David LYNCH pour son exploration des frontières entre conscience et sub-conscience, celui de Terry GILLIAM dans son obsession de la bureaucratie totalitaire, mais aussi une réfléxion moins poussée mais tout aussi troublante sur les moyens qu'a une société pour ramener dans ses rangs ses membres les plus réfractaires que celle développée dans Orange mécanique (1971) trois ans plus tard. Saupoudrez le tout d'une pointe d'humour flegmatique à la Peter SELLERS et d'un esprit proto punk, voire lorgnant vers le New-York arty, alors inexistant incarné par la faune interlope de la "factory" de Warhol et vous n'aurez qu'une vague idée de cet étrange film.
Expérimental, décousu, creusant des sillons dans un symbolisme pas toujours évident et laissant au spectateur toute latitude pour combler les vides selon sa perception, une oeuvre unique, rare, déconcertante, rageante parfois, tant rien ne conforte une idée plus qu'une autre mais pour qui aime être lâché dans l'inconnu sans guide l'expérience se révélera passionnante.