The Creator
6.4
The Creator

Film de Gareth Edwards (2023)

Après l'excellent Monsters (tourné pour 500000$ et ayant l'air d'en avoir couté 10 fois plus), l'incompris Godzilla (imparfait mais plastiquement époustouflant), le génial Rogue One (le seul bon truc qu'ait pondu Disney avec Star Wars *tousse*), revoici Gareth Edwards avec The Creator, encore un film de SF s'attaquant cette fois-ci à la thématique de l'IA et du rapport homme-robot. Sans produire une œuvre particulièrement originale sur le sujet, le cinéaste parvient pourtant à tenir l'équilibre entre le pur divertissement hollywoodien et le film de SF cérébral.


Ainsi en est-il du vieux trope de la guerre entre les hommes et les machines qu'on a ressassé environ une infinité-moins-45 de fois, mais auquel Edwards apporte une nuance importante, à savoir une guerre Occident (comprenez : États-Unis) vs Asie, l'un ayant décrété la destruction de tous les robots et toutes les IA et l'autre ayant continué de considérer ses derniers comme leurs égaux. Ainsi cette guerre a-t-elle des airs de conflit de guérilla, invoquant autant les paysages et les méthodes de combat de la Guerre du Vietnam que l'Afghanistan avec la guerre de l'information et ces frappes nucléaires chirurgicales. Au-delà des nations, c'est un combat d'idées qui se joue, celui de l'identité des robots et de leur place au sein du corps social. L'Occident veut l'éradication des robots par crainte qu'ils ne provoquent l'extinction de l'Humanité, et l'idée d'une cohabitation pacifique ne leur traverse même pas l'esprit. Un peu comme ce qu'il faisait dans Monsters, Edwards définit un nouveau paradigme de la vie sur Terre : Dans son premier film, c'était l'apparition d'une race extraterrestre en plein cœur de l'Amérique du Sud qui provoquait une mutation de l'écosystème impossible à endiguer et qui irait certainement se propager au monde entier; dans The Creator, c'est cette nouvelle forme de vie faite de diodes et d’électrodes. Dans les deux cas, il nous dit que l'homme doit accepter qu'il n'est plus l'espèce dominante et qu'il doit apprendre à partager sa place sur le trône de la planète mais que, jaloux, il ne peut accepter la voie de l'humilité et répond par les armes et la colère.


Cela étant dit, cette thématique n'est qu'effleurée par le film. Et c'est un reproche qu'on peut faire à toutes les thématiques abordées, à savoir que soit elles ne vont pas très loin, soit restent hyper classiques. Quand vient la question de si oui ou non les sentiments d'un robot sont des sentiments réels, Edwards ne réinvente pas la roue. Malgré tout, nous pouvons louer une certaine cohérence et une vraie tenue dans les réflexions qu'apporte le métrage : Il ne cherche pas à péter plus haut que son cul, il ne bouleverse pas nos attentes mais il ne se disperse pas, n'est pas inutilement verbeux ou théorique. On reste là pour se divertir, après tout. Et on est servis.


Alors attention, même si The Creator parle de guerre, ce n'est pas un film d'action. C'est avant tout un film qui se concentre sur ses personnages et qui se veut contemplatif. Remercions pour cela Edwards et son sens aigu du cadrage, capable de nous offrir des plans de toute beauté, des panoramas dantesques et bien entendu ses inévitables jeux d'échelle absolument jouissifs qui rendent les personnages minuscules à côté d'écrasantes structures de béton et d'acier ou d'explosions d'ampleur apocalyptique (On sent qu'il a bien aimé bosser sur Star Wars. Ça en fait au moins un !). Ce sens du gigantisme servait dans ses précédents films à montrer l'humain se débattant face à l'immensité : Deux voyageurs américains face à des poulpes de l'espace occupant un territoire vaste comme plusieurs pays, les populations innocentes des mégalopoles face à Godzilla et ses ennemis, les petits rebelles contre le gargantuesque Empire galactique. Dans The Creator, il cherche à faire ressortir l'humain au sein du conflit. A plus d'une occasion, il attarde sa caméra sur des petits détails, les dommages collatéraux, les individus qui cherchent à exister malgré les bombes qui fusent. A ce titre, j'ai été marqué par un bref moment en fin de métrage où des soldats assistent impuissants à la mort par asphyxie de leurs camarades de l'autre côté d'un sas en pleine décompression. Même si le film pose des frontières claires entre le bien et le mal et que ces soldats sont antagoniques aux héros, Edwards fait ressortir leur humanité, leur peine sincère et leur horreur face à cet événement. De même, Joshua le héros n'est pas un super soldat de la mort, il ne se bat presque jamais, il est même prêt à épargner un ennemi et l'enjoint à baisser son arme. Ce qui intéresse Edwards, encore une fois, ce n'est pas l'action mais l'humain, celui qui tient le pistolet et devra vivre avec les conséquences de son tir.


Effectivement, on pourrait reprocher à The Creator des facilités d'écriture, notamment dans le climax, les gros fans de SF et lecteurs de manga lui tiendront sans doute rigueur de son classicisme thématique (ou apprécieront de voir enfin un film ayant lu correctement Gunnm), et les spectateurs pointilleux d'un scénario un petit peu prévisible, mais tous perdront de vue un film qui essaye d'être au-dessus de ça. Tout comme son duo de protagonistes, ce n'est pas le conflit qui l'intéresse, ni les implications sociales et philosophiques de la cohabitation humains-robots et encore moins la critique de l'interventionnisme américain. Le film ne parle que d'amour. Le vrai, celui qui se transmet au-delà des mots, au-delà de toutes les différences et qu'on ne vaincra pas à coups d'ogives nucléaires dans la gueule. Cet amour qui se cache derrière toutes les apparences, tous les artifices, et qui parvient même à naitre au sein de la machine. L'amour du travail bien fait, qui arrive à trouver sa place au sein de l'énorme machinerie hollywodienne après 15 ans de marvelleries et beaucoup de larmes de cinéphiles versées sur la tombe du blockbuster. The Creator nous prouve qu'il y a peut-être encore un espoir pour le divertissement américain à gros budget, à condition que les producteurs laissent de côté leur orgueil et comprennent qu'il ne sont qu'un rouage dans l'écosystème du cinéma et non son maitre, pour qu'enfin ils acceptent de cohabiter avec une nouvelle espèce de réalisateurs plus exigeants et qui ont des choses à dire et à montrer. La planète est assez grande pour tout le monde.

Arkeniax
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le 6 oct. 2023

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