L'Ange Noir
Reprenant là où Begins s'arrêtait, The Dark Knight nous replonge dans un Gotham avide, rongé de l'intérieur, toujours en proie à la criminalité et la corruption malgré les événements passés, mais...
le 1 nov. 2014
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Avant que Batman Begins ne soit à l’affiche, le scénariste David S. Goyer avait écrit deux suites qui introduisaient le Joker et Double-Face. Sa première intention était que Harvey Dent soit défiguré par le Joker lors de son procès dans le troisième film, transformant ainsi le procureur en Double-Face en citant Batman : A Long Halloween comme principale influence de son histoire.
En 2006, Christopher Nolan et Jonathan Nolan travaillent sur la suite de Batman Begins. Le film raconte l'histoire de Batman essayant d'arrêter le personnage du Joker dans sa frénésie criminelle. En faisant cette suite, les frères veulent insister sur la noirceur du premier film et raconter la dynamique de l'histoire d'une ville, avec une grande organisation criminelle et dans laquelle vous êtes à la recherche de la police, du système judiciaire, d'un justicier, des criminels, des riches et des pauvres.
The Dark Knight sort en 2008 et bouscule les productions super-héroïques.
À l'instar des comics, les Nolan ont voulu transmettre l’idée qu’un défenseur du crime comme Batman attire effectivement le crime à Gotham City et donc la folie. Cette idée reprise dans le film remet donc en cause la légitimité du chevalier noir. Ils ont aussi voulu donner une vraie dimension à la ville de Gotham, une ville ayant sa personnalité propre. Le film prolonge et développe des événements qui se déroulent dans le premier film, mettant en avant que les choses doivent empirer avant de s'améliorer. Ils décrivent la rivalité entre Bruce Wayne et Harvey Dent, tant pour le cœur de Rachel Dawes que pour l'épuration de la ville de Gotham, comme la colonne vertébrale du film. Ils ont également choisi de compresser le scénario, incluant la métamorphose de Harvey Dent en Double-Face, ce qui donne au film un arc émotionnel que le personnage insensible du Joker ne pouvait offrir.
Dans ce second opus, Christopher Nolan introduit une nouvelle figure chevaleresque, après celle du père de substitution avec Ra’s Al Ghul faisant de Bruce Wayne un chevalier, et après notre héros bien sûr : ce troisième chevalier est Harvey Dent. Sa quête, son Graal, est l’exercice impartial d’une justice incorruptible. Sauf que lui, à la différence de Batman, agit au grand jour à visage découvert.
On sait que Christopher Nolan et David S. Goyer avaient envisagé d’introduire le procureur Harvey Dent dans le premier film, avant de remplacer son personnage par celui de Rachel Dawes, faute de pouvoir servir au mieux le personnage de Dent. Ceci permettait aussi d’introduire une histoire d’amour pour Bruce Wayne sans complexifier trop l’intrigue. Mais Harvey Dent fut d’emblée au cœur du projet de suite, avec le Joker déjà annoncé.
The Dark Knight devient dès lors le récit parallèle de la chute d’un chevalier blanc et de l’acceptation par Batman de son rôle sacrificiel de chevalier noir endossant toute responsabilité pour préserver la société.
Le film est donc traversé par l’espoir de Bruce Wayne incarné par l’excellent Christian Bale d’avoir un héritier pour Batman, le chevalier noir, sous la forme du chevalier blanc Harvey Dent incarné par Aaron Eckhart (qui avait été pressenti pour le rôle de Batman), avant que la défiguration de ce dernier le métamorphose, plus encore que Batman, en chevalier noir. Le récit du film est non seulement une transformation, mais celui d’un deuil d’une figure symbolique : celle du chevalier blanc qui aurait dû rendre Batman anachronique. Car le chevalier noir ne devrait pas exister, lui qui est noir comme la nuit où il apparaît et comme la colère qui l’a créé. Il est une figure anachronique, au point que Bruce Wayne a songé céder la place au chevalier blanc Harvey Dent, parfaitement compatible avec l’État de droit. Pourtant, sa transformation en Double Face, puis sa mort, va redonner à Batman sa légitimité, justement parce qu’il est hors-la-loi. Il fallait que Dent meure, cette figure christique laïque, pour que vive Batman.
« Gotham a besoin d’un héros dont on peut voir le visage » déclare Bruce Wayne à Rachel Dawes au cours de la fête somptueuse qu’il organise pour recueillir des soutiens pour Harvey Dent. Cette phrase énonce l’un des enjeux formel et thématique du film : travailler la relation au visage, donc à la perception par autrui. C’est le visage masqué de Batman, celui déchiré par les cicatrices du Joker, celui défiguré d’Harvey Dent à la fin du film, après avoir été la belle figure publique de la justice. Un visage qui est soumis au danger de perdre l’humanité en lui, mais aussi de perdre son unicité, comme en témoignent les avatars du Joker et de Batman (l’Épouvantail s’entoure de disciples prétendant être le chevalier noir).
Le Joker demande toujours que Batman se démasque. C’est sa condition pour que ses attentats cessent, faisant ainsi retourner l’opinion publique contre le chevalier noir. Mais le Joker ne veut pas la perte de Batman comme il le lui révèle au cours de leur confrontation finale, une révélation anticipée par sa mise à prix du comptable de Wayne Enterprise qui s’apprête à révéler l’identité du super-héros. D’une certaine manière, le Joker veut lui faire payer le viol de l’identité secrète du chevalier noir, acte ultime de mise en danger dans les comics.
Si le public connaît l’identité et le passé de Batman, le héros masqué, rien de tel pour le Joker. Ce dernier intime l’ordre à Batman de se démasquer, lui déniant le droit de cacher son identité, mais lui, le Joker, qui est-il ? On ne peut dire qu’il porte un masque, car son visage serait reconnaissable sans son maquillage, mais ce dernier ne se dissocie jamais de son visage, même lors des plans qui le montrent délavé, dégoulinant de traces de maquillage noir.
Le Joker est là, comme la gravité, et c’est tout. Il n’a pas d’empreinte digitale, sa trace ne se trouve dans aucun registre et ses vêtements taillés sur mesure empêchent de remonter à son identité par ses achats. Les traces de son identité se trouvent-elles sur son visage ? Ses cicatrices, il en donne des origines différentes, comme autant d’origin story possibles. Il incarne, à lui seul, la puissance de la fiction des comics, qui ne cessent démultiplier les incarnations de leurs personnages. Il est un archétype ayant pour but l’escalade de la violence jusqu’au chaos total.
Nous n’allons pas redire ici à quel point Heath Ledger incarne avec une perfection terrifiante ce Joker agent du chaos sans origine. Pourtant, il n’était pas gagné d’incarner un tel archétype, qui s’impose par l’absence d’identité et de passé. Le Joker est aussi arbitraire qu’un carte tirée au hasard, ce hasard qu’il déclare choisir pour son impartialité, une carte qui est, bien sûr, celle du fou de carnaval médiéval et du roi. Sa revendication de l’impartialité lui permet de prétendre avoir quelque chose en commun avec Harvey Dent devenu Double-Face, qui tire à pile ou face la mort de ses adversaires, mais aussi de Batman l’incorruptible.
Mais l’impartialité prétendue du Joker, celle du chaos total, est le produit d’une machination complexe dont il tire toujours les ficelles, scénariste ou metteur en scène d’une grande farce macabre. La carte, on le sait bien, a le pouvoir de devenir toutes les autres dans certains jeux. Elle permet, au contraire, d’introduire du choix. Mais le but du Joker n’est pas de renverser l’ordre établi pour construire un monde socialement plus juste, mais plutôt de confronter chacun à ses limites, à leur faire repousser les frontières de l’acceptable.
Le Joker est le méchant suprême. Il est une icône au même titre que le Chevalier Noir. Fidèle au ton que nous avions établi dans Batman Begins, nous avons décidé que ce Joker serait, en dépit de son surnom, un homme plutôt sérieux. Nous sommes partis de l'idée qu'il incarnait l'anarchie et le chaos à l'état pur, qu'il n'avait d'autre but que de détruire pour le seul plaisir de détruire, et qu'il était par là même totalement insaisissable... Et passablement terrifiant.
Voilà ce que dira Christopher Nolan de son personnage. Pour se préparer à ce rôle difficile, Heath Ledger a passé plusieurs semaines, seul dans une chambre d'hôtel, à tenir un journal où il ressassait toutes les idées sombres que pouvait avoir le Joker tout en travaillant la posture et l'attitude du personnage. Il sera récompensé à titre posthume de l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle (le film aura aussi l’Oscar du meilleur montage son).
Hans Zimmer et James Newton Howard, qui avaient déjà travaillé ensemble sur Batman Begins, composent la musique du deuxième volet. Ils déclarent dès le départ que le thème principal de Batman était volontairement introduit à la fin du premier film, et qu’il s’étoffera dans la suite du film en même temps que le personnage évoluera. Le thème héroïque n'est ainsi audible que deux fois, au début du film, pour créer ce que les compositeurs décrivent comme une diversion, une sorte de préfiguration musicale d’un événement futur dans le film.
Michael Caine en Alfred Pennyworth, Gary Oldman en James Gordon et Morgan Freeman en Lucius Fox sont aussi de retour. Seule Katie Holmes ne reprend pas son rôle de Rachel Dawes pour laisser la place à Maggie Gyllenhaal.
The Dark Knight, via son personnage du Joker, teste l’humanité et déstabilise les structures sociales plus qu’il ne les détruit. En incitant à tuer un homme pour éviter la mort d’innocents dans un hôpital, en permettant à un groupe d’en tuer un autre pour se protéger ou en forçant Batman à choisir entre sauver le chevalier blanc ou la demoiselle en détresse. Tester l’humanité en nous, n’est-ce pas le but de la fiction ?
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Créée
le 17 juil. 2023
Critique lue 9 fois
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