J’en ai entendu des choses concernant ce dernier épisode de la trilogie Batman réalisée par Christopher Nolan…
Souvent c’était d’étranges chipotages, d’autres fois de basiques délits de sale gueule, et parfois – au milieu de tout ça – il pouvait aussi y avoir des reproches argumentés, profonds et fournis.
Les critiques étaient contrastées il est vrai, mais il s’empêche qu’au bout du compte il ressortait de tout ça un même constat ; qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas : il y a quelque-chose qui cloche dans ce The Dark Knight Rises…
Je vais être honnête avec vous, faire le tour de ce qui a pu être dit au sujet de ce film m’emmerde toujours un peu parce qu’en fin de compte elles disent bien quelque-chose de vrai.
Oui, quand bien même je l’adore, je me dois bien de reconnaitre que ce dernier volet de la trilogie nolanienne a en lui quelque-chose de bancal, d’inégal, de bizarrement fichu.
Quatre ans après ce bijou que fut l’épisode précédent – j’ai nommé The Dark Knight – il est vrai que le contraste peut saisir.
The Dark Knight c’était la claque inattendue ; celle qui a mis tout le monde d’accord.
Il laissait derrière lui les choix contestés d’un premier opus dont le rôle ingrat a été d’installer un nouvel angle d’approche à l’homme chauve-souris et tirait les pleins bénéfices d’un virage plus noir, plus thriller, plus oppressif. Et au milieu de cette orchestration suffocante à souhait, le Joker de Heath Ledger terminait de convaincre les derniers indécis.
Dès lors, le chemin semblait tout tracé pour ce dernier volet de la saga : être à nouveau The Dark Knight ou ne pas être. Or il ne l’a pas été.
Grossière erreur.
Alors après la déception n’a pas empêché pour autant une certaine lucidité.
Malgré ses nombreuses imperfections, ce The Dark Knight Rises n’en a pas pour autant oublié d’assurer le service formel dans la droite lignée de son prédécesseur : de cette introduction spectaculaire amenant Bane dans l’arène au premier retour de Batman dans les rues nocturnes de Gotham ; de ce combat brutal dans les sous-sols de la ville à la course-poursuite finale, on retrouve toute cette rigueur nolanienne qui fait que le spectacle reste grand, beau et noble.
Idem, difficile de dire que cet opus ne remporte pas certains des propres défis qu’il s’était fixé. Comment ignorer par exemple que – à l’image du Joker présent dans The Dark Knight – quelques personnages-cultes de l’univers Batman ont su être ici réinvestis et réinventés avec brio. La Catwoman campée par Anne Hathaway est une très belle esquive du modèle (im)posé par Michelle Pfieffer, de même que Tom Hardy parvient à donner au personnage de Bane toutes ses lettres de noblesse.
Ajoutons à cela la maitrise habituelle de Hans Zimmer et la sublime photo de Wally Pfister et on a déjà suffisamment de raisons de se satisfaire d’un tel spectacle.
…Seulement voilà, parce que The Dark Knight Rises partageait dans son titre et dans sa filiation un peu trop en commun avec son ainé, il y a beaucoup de choses qu’on n’a pas su lui pardonner.
Or c’est vrai, il y a quand même beaucoup de choses à redire dans ce film.
Je ne m’attarderais pas sur ce que, pour ma part, j’aurais tendance à considérer comme des chipotages de spectateurs à courte-vue.
Oui, c’est vrai, à un moment donné on quitte Bruce Wayne sortant tout craspouille d’un puits perdu au fin fond de l’Asie pour le retrouver cinq minutes plus tard tout propre et paré au combat à l’autre bout du monde. Moi j’appelle ça une ellipse et ça ne me choque en rien, mais visiblement c’est un procédé cinématographique qui en désarçonne plus d’un.
Idem on pourra railler le fait que le bon Bruce retrouve bien vite ses capacités physiques, se faisant un jour déplacer des vertèbres au point de ne plus pouvoir se lever pour ensuite grimper tout un puits à mains nues grâce aux soins rudimentaires de deux médecins pachtounes. Il n’empêche qu’en termes d’invraisemblance dans un film de super-héros, j’ai déjà eu à avaler bien pire et sur des points bien plus cruciaux de l’intrigue.
De même, on pourra continuer autant qu’on le voudra à se foutre de la gueule de la mort de Marion Cotillard dans ce film, il n’empêche que – même si c’est vrai qu’elle est naze – elle n’en reste pas moins un point de détail par rapport à tout le film.
Par contre, j’avoue qu’il est malgré tout plus difficile pour moi d’ignorer le gros point noir de ce film et qui – à chaque visionnage – bouscule mon immersion.
Il s’agit de cette histoire de policiers qui se retrouve soudainement terrés pendant des mois dans les sous-sols de la ville.
Alors OK, j’ai bien saisi la valeur symbolique de cette situation – où les damnés de la terre qui vivaient jadis dans les égouts imposent désormais leur ordre à la surface tandis que les tenants de l’ordre ancien se retrouvent dès lors terrés dans les égouts – mais à prendre au premier degré, c’est clairement invraisemblable.
…De même que je ne peux cacher le fait d’être à chaque fois frustré par ce que ce film fait de Bane et de ses projets.
Autant j’adore l’ambigüité qui ressort de ce bulldozer à l’accent et aux paroles sophistiqués, autant sa révolution manque de profondeur et de percussion. Quand le Joker aspirait à ronger la ville en jouant sur les lâchetés et les égoïsmes de chacun, on voyait bien dans The Dark Knight quelle était la réalité de son plan ainsi que la manière dont il entendait le mettre en place…
…Par contre, dans ce The Dark Knight Rises, quand Bane entend laisser le pouvoir au peuple dans l’espoir que les excès de la démocratie directe la fasse imploser de l’intérieur, on ne voit pas l’exercice de ce pouvoir populaire ; on ne voit pas la nature de la menace et de la déchéance. On a juste à la place des milices armées qui se baladent dans les rues ainsi qu’un tribunal dantonien… Et c’est tout.
Pour le reste l’essentiel de la population demeure cloitrée chez elle et ne pourra en sortir que lorsque ressurgiront des entrailles de la ville les bonnes vieilles troupes de l’ordre ancien dont on avait pourtant dit qu’elles servaient avant tout le grand capital plutôt que les petites gens. En plus d’être léger et plutôt pauvre, cette manière de faire est en plus un brin réac dans son approche de la question sociale.
Et puis à côté de tout ça, comment ignorer le fait qu’à certains moments – parce qu’il veut trop dire et expliquer des choses sur moins de trois heures – ce film rushe certains éléments qui auraient mérités d’être davantage clarifiés ou explicités…
Moi par exemple, autant j’aime la scène d’introduction de ce film pour ce qu’elle amène en termes d’intensité et de visuel, autant je trouve qu’elle est narrativement ultra mal foutue et mal intégrée. OK elle introduit très bien Bane, mais pour ce qui est du comment et du pourquoi – qui est Petrov ? Pourquoi on lui prélève du sang ? Pourquoi on le capture ? – tout ça est laissé en plan jusqu’à la scène dans le stade de Gotham si bien qu’en termes d’efficacité narrative, cette scène est clairement perfectible.
Alors oui, c’est sûr – et je ne conteste pas – The Dark Knight Rises est un film bancal, imparfait, discutable…
…Mais bon, d’un autre côté, est-ce que tous les détracteurs de ce film ont vraiment pris la peine de regarder ce que ce film posait vraiment sur la table ?
Quelques paragraphes plus tôt je me permettais d’évoquer des spectateurs à courte-vue, et plus je revois ce film (car oui, je l’ai déjà revu une bonne demi-douzaine de fois) et plus j’ai l’impression qu’en fait le cœur du problème vient de là.
En fait, j’ai l’impression que beaucoup ne voient pas… Ou pour être précis n’ont pas pris la peine de voir.
Parce que ce The Dark Knight Rises n’est pas qu’un film Batman ou bien même la suite de The Dark Knight. Ça non.
A bien le considérer, The Dark Knight Rises est aussi à côté de ça une clef-de-voute. La clef-de-voute de toute une trilogie. Celle qui donne à voir tout un ensemble d’éléments qu’on ne pouvait considérer jusqu’alors sans elle.
Or, juger The Dark Knight Rises que pour lui-même (ou qu’en comparaison de l’épisode qui le jouxte), c’est pour moi comme considérer une clef-de-voute uniquement pour sa forme et sans s’intéresser aucunement à la place qu’elle occupe et à ce qu’elle révèle de l’ensemble de l’édifice.
Parce que ça donne quoi de considérer The Dark Knight Rises pour ce qu’il est donc aussi, c’est-à-dire comme la dernière pierre de toute la trilogie nolanienne ?
C’est d’abord découvrir la conclusion d’un long parcours – d’une longue exploration – de ce qu’est un super-héros ; ou pour être plus exact un héros tout court.
C’était déjà le cœur du propos de Batman Begins. A travers la genèse de l’homme-chauve-souris, on assistait en fait à la naissance du Bruce en tant que figure héroïque qui était questionnée.
Or dans Begins un premier constat avait été posé. Dans Begins il était dit qu’un héros c’était tout sauf une vocation. Tout sauf un choix.
Bruce n’a pas choisi de naitre avec une cuillère d’argent dans la bouche, pas plus qu’il n’a choisi d’être héritier. La peur, les chauves-souris, les moyens financiers – tout ce qui va faire de lui Batman – s’est imposé à lui.
Le chemin qui conduit vers l’héroïsme est un chemin de croix. C’est une épreuve ou on peut décider soit de se laisser inhiber par la peur et ainsi faire le jeu du mal qui nous ronge soit d’accepter d’endosser le poids du sacrifice.
Batman n’a commencé qu’une fois le sacrifice de Bruce Wayne achevé. Et dans The Dark Knight Batman s’est érigé en héros sitôt a-t-il accepté de se sacrifier en faveur du chevalier blanc.
Tout ce parcours pour aller jusqu’ou ? Pour quel résultat ?
Que nous dit The Dark Knight Rises à ce sujet ?
…
A ce sujet la conclusion posée par ce troisième opus a le mérite de la cohérence et surtout de l’esprit de synthèse.
A quoi conduit l’esprit de sacrifice permanent si ce n’est à la destruction de l’individu ?
Trop s’attacher à soi c’est s’inhiber et se corrompre. Trop s’en détacher c’est se perdre et se dissoudre.
Quel est l’aboutissement de tout ça ?
La réponse de ce TDKR est limpide : la transmission.
Transmission de la charge à un autre orphelin qui a besoin de lutter contre ses vieux démons.
Transmission d’un patrimoine à une communauté qui en a bien besoin.
Transmission d’un espoir, d’une figure, d’un modèle, d’un exemple…
…Et alors l’homme peut-il naître à nouveau.
Il a donné à hauteur de ce qu’il avait reçu au jeu de la grande loterie de la vie. Il est allé jusqu’à la limite et par-là même il s’est rappelé à sa véritable nature ; sa nature de simple humain. Il peut alors s’en retourner sachant sa part accomplie. Il peut substituer la paix à la peur, la sérénité au sentiment de surhomme.
La boucle est bouclée. Bruce Wayne redevient Bruce Wayne, homme de chair et de sang quand Batman redevient ce qu’il a toujours été lui aussi : une catharsis. Un symbole…
…Une légende.
…
Mais en concluant cette trilogie, The Dark Night Rises démontre que le tour d’horizon proposé était en fait bien plus large et dense que cela.
Au-delà du héros c’est aussi la figure de Batman que cet ensemble a auscultée et questionnée. D’abord le Batman des origines – celui des années 30 – puis celui de la période noire des années 80-90 – celles des albums de Miller et de Moore – avant d’aborder les albums plus contemporains de Loeb ou du trio magique Grant / Moench / Dixon.
Les connaisseurs se satisferont qu’au final aient été mobilisés de nombreux moments cultes de la saga pour être au final réorchestrés et réorganisés : de la ligue des ombres au Joker en passant par Robin et ce dos brisé par Bane…
…Et en parallèle de ça c’est aussi une histoire de l’Amérique et de ses mythes qui est érigée : le self-made-man du début XXe et sur laquelle toute l’Amérique entendait se construire – et dont Thomas et Bruce Wayne étaient à eux deux des symboles – et à laquelle renvoie tout Batman Begins au désenchantement de la société vérolée et en crise – qu’il s’agisse de celle des années 30 comme de celles des années 80 – dans The Dark Knight, jusqu’à l’Amérique post-11 septembre et celle d’ Occupy Wall Street sur laquelle décide ce conclure ce TDKR…
…Par ce tour d’horizon la trilogie questionne au fond toute une société au travers du héros qu’elle a produit ; que ce héros s’appelle Batman ou Carnegie.
Moi, en tant que lecteur et adorateur de Batman, je ne peux pas faire comme si ce The Dark Knight Rises n’avait pas su donner à voir tout ça…
Moi, en tant qu’adorateur d’univers riche et de narration fournie, je ne peux pas faire non plus comme si cette trilogie n’avait pas dit ce qu’elle avait dit, et posé ce qu’elle avait posé.
Et puis – tout simplement – moi en tant que cinéphile, je ne peux pas faire comme si ce film et ces deux prédécesseurs n’avaient pas été les expériences sensorielles qu’ils ont su être.
Parce que d’accord, moi je veux bien entendre qu’on puisse tiquer sur une ellipse un brun brutale ou un récit parfois un poil galopant et confus, mais est-ce qu’on peut prendre juste deux minutes pour parler de ces scènes qui refilent des frissons ?
Est-ce qu’on parle de cette scène où Bruce se sort de son puits et de la maestria avec laquelle elle est menée ?
Est-ce qu’on parle de la jouissance que j’ai eu à voir Nolan remettre au tout dernier moment Talya Al Ghul dans la boucle scénaristique ; bouclant ainsi parfaitement le cycle initié par Begins ?
Et puis surtout est-ce qu’on parle de ce putain de kif de la séquence finale ?
Alors oui c’était téléphoné depuis deux heures ! Oui c’était évident qu’à partir du moment où Alfred évoque son rêve de voir un jour Bruce avec femmes et enfants sur une terrasse le long de l’Arno on allait avoir le droit à cette scène à la fin ! Mais qu’est-ce qu’elle putain de fonctionne cette scène ! Elle joue son rôle. Elle est à sa place. Elle est cette petite pièce qui s’emboite pile là ou il faut pour qu’on se rende compte d’à quel point l’édifice est abouti…
Alors après – c’est sûr – ce film aurait clairement pu être plus abouti – mieux ficelé – et par rapport à ça je ne reviendrai pas sur les reproches que j’ai déjà évoqués plus haut.
Certains de ces points relèvent du pas-de-bol : entre un Joker que tu dois exclure au dernier moment de l’intrigue parce que son interprète est mort et une Miranda Tate qui peine à se mouvoir (et à mourir) parce que l’actrice qui la joue est enceinte jusqu’au cou, je pense qu’en termes d’emmerdes, TDKR se pose là…
D’autres points relèvent clairement de choix perfectibles, parfois même de choix contreproductifs : je pense notamment au choix du titre qui peut clairement induire en erreur et nourrir de fausses attentes.
Parce que oui : moi je fais partie de ceux qui pensent que The Dark Knight Rises aurait eu tout intérêt à s’appeler autrement. En reprenant trop l’intitulé du précédent épisode – The Dark Knight – il donne l’impression d’en être une suite directe et dans le même esprit, invisibilisant de fait ses liens avec un Batman Begins avec lequel il partage pourtant autant si ce n’est plus d’atomes crochus…
Comment aurait-il fallu le nommer alors ?
Perso – histoire d’éviter le Batman Rises qui aurait trop occulté ce coup-ci The Dark Knight, j’aurais joué la rupture histoire de bien distinguer les trois épisodes. Des titres tels que Rise ou The Legend Ends comme il pouvait apparaitre sur certaines affiches de promotion m’apparaissaient alors comme de très bonnes alternatives...
Néanmoins – et à bien tout prendre – on ne me fera pas oublier que derrière ces toutes petites imprécisions il y a aussi tout le reste ; ce reste que j’ai l’impression que beaucoup ignorent.
Pourquoi ? Est-ce Nolan qui est un personnage si crispant qu’il suffit de peu pour tout gâcher ?
…Ou bien est-ce que tout simplement parce qu’on n’a pas pris la peine de voir ?
Dans un film réalisé six ans plus tôt – le Prestige pour ne pas le citer – Nolan aimait à rappeler que l’art du cinéaste était une sorte de tour d’illusionniste. Il s’agissait de savoir attirer ou détourner l’attention du spectateur pour que la magie opère.
Dans cette démarche pernicieuse, Michael Caine – déjà lui – ne cessait de répéter cette phrase trompeuse : « Are you watching closely ? »
Or trompeuse cette phrase l’était bien, car en habile prestidigitateur qu’il incarnait, Michael Caine ne cherchait en fait qu’une seule chose : nous duper.
En nous invitant à regarder de bien près il nous empêchait de voir le schéma d’ensemble et donc le tour de magie.
Avec ce The Dark Knight Rises, pas de Michael Caine prestidigitateur pour appeler à regarder de trop près, et pourtant j’ai l’impression que beaucoup sont néanmoins restés collés sur l’écran et n’ont pas su prendre le recul nécessaire.
Car au fond fusse-là le problème ?
…Les gens ont-ils regardé ce film de trop près ?
En tout cas, en ce qui me concerne, si vous aimez vraiment l’univers de l’homme-chauve-souris ou les films épiques en général, je ne peux que vous inviter à vous (re)voir ce The Dark Knight Rises ainsi que ses deux prédécesseurs.
Revoyez-les si vous les avez déjà appréciés. Et revoyez-les aussi si vous ne les avez pas appréciés. The Dark Knight Rises mérite d’être au minimum considéré pour tout ce qu’il entreprend. Et quand bien même ne sera-t-il pas en mesure de vous séduire comme moi il m’a séduit, au moins sera-t-il en mesure de vous offrir quelques moments, une envolée, un plan…
Car c’est justement ça toute la force du travail de Christopher Nolan. Certes il est parfois dense au point d’être étouffant, verbeux au point d’être bavard, complexe au point d’être confus, mais c’est du cinéma. Du vrai bon cinéma. Du cinéma de technicien.
Du cinéma généreux.
Du cinéma qui cherche à donner.
Or, moi, il se trouve que quand on me donne, je prends.
Les vrais gestes de cinéma sont trop rares pour être boudés.
Sur ce point ce Rises à la générosité des plus grands.
Et tout le monde gagnerait, je pense, à le remarquer…