Ce film, une rareté (jamais sorti en salles en France), a été tourné alors que l’Albanie sortait de 40 ans d’une dictature à tendance stalinienne. Le réalisateur Saimir Kumbaro s’attache aux effets de ce régime sur les individus.
Le Chef-adjoint de l’Etat-Major arrive dans un centre d’élevage de chevaux dirigé par un peloton de l’armée. Tout le personnel du centre est convoqué dans une salle de réunion. Dans une ambiance solennelle, le haut gradé s’installe sur une estrade pour évoquer les conspirateurs qui agissent contre le régime. Il annonce que des informations montrent que le centre abrite de tels conspirateurs. Dans ces conditions, le centre sera dissous dans les dix jours. Aucune question ne sera entendue et la réunion est close. Agron Kurti (qui porte des effets militaires, mais pas un uniforme) se lève comme s’il avait une question, puis se ravise et s’assoit (comme le voisin de l’orateur, juste avant). Consterné, Agron va jusqu’à considérer que la dissolution du centre équivaut à placer les chevaux au rang de conspirateurs. Probablement pas militaire, il a consacré sa vie à leur élevage.
Dans la foulée, le vétérinaire annonce que Divi est malade. Divi c’est le cheval préféré d’Agron, un étalon qu’il bichonne depuis sa naissance. Ce cheval aurait une maladie contagieuse qui nécessiterait qu’on l’abatte. S’approchant de Divi, Agron sent que cette prétendue maladie est une sorte de prétexte pour justifier un peu plus la dissolution du centre. Il n’obtient qu’une chose, le droit d’abattre Divi lui-même. Pour cela, il l’emmène en pleine campagne avec un homme qui se charge de creuser un trou qui servira de tombe. Or, peu après, l’un des supérieurs d’Agron croise des tziganes. L’un d’eux tient un cheval qu’il identifie comme Divi. Mais le tzigane affirme qu’il lui appartient depuis toujours…
Vdekja e kalit (titre original) présente la descente aux enfers d’Agron, incapable d’accepter le gâchis de la dissolution du centre d’élevage de chevaux, ainsi que la décision d’abattre son préféré. Il finit par passer la ligne jaune, d’abord en intervenant devant un militaire qui maltraite un cheval dans le centre, puis en disant ce qu’il pense devant un de ses chefs. A partir de là, tout s’enchaine et il ne pourra jamais se faire entendre.
The death of the horse (déplorons le choix d’un titre anglais, même s’il correspond bien), dresse un constat accablant pour la politique d’un pays longtemps très fermé, alors qu’il ne se situe pas bien loin (dans la péninsule des Balkans, avec ouverture sur la mer Adriatique). Sur de nombreux détails, on sent l’influence que l’URSS exerçait sur le régime. Déjà l’ambiance, puisqu’on comprend très rapidement qu’on ne s’oppose pas aux directives du parti. Cela crée une tension et incite les uns et les autres à se taire. Les conséquences se révèlent terribles, car bien entendu tous s’observent et réfléchissent. Si la majorité reste en quelque sorte paralysée par la peur (celle de perdre le peu dont dispose chaque individu), la vie continue. Qu’ils le veuillent ou non, chacun agit (ou non) d’une certaine façon. L’hypocrisie devient la règle quasi générale et ne fait qu’accentuer les réactions de méfiance. Dans un tel climat, les pires agissements tendent à se banaliser. Surtout, la moindre tentative d’opposition face aux absurdités mises en place peut tourner à la catastrophe. C’est ce qui arrive à Agron qui aura beaucoup de temps pour réfléchir à l’opportunité de sa volonté de justice. Et encore, il lui reste à découvrir l’étendue des dégâts sur ses proches.
Ce que le réalisateur met en scène, c’est la faillite d’un système qui broie les individus. Même si ce n’est pas franchement innovant, il montre les terribles conséquences d’un système complètement perverti. On remarque ainsi les étoiles rouges qui surmontent les piquets à l’entrée du corral et les innombrables portraits et statues du camarade Enver (Enver Hoxha, le premier secrétaire du parti). D’ailleurs, la scène où une maladresse envoie l’une de ces statues au sol où elle se brise est d’un symbolisme évident. On remarque aussi le salut des soldats albanais, le poing fermé. A côté de ces détails, la façon dont Agron est traité est particulièrement révélatrice. Le réalisateur propose donc un film bien articulé, concis (1h20), où la tension vient complètement gâcher une ambiance qui avait ses bons côtés avec ces chevaux en quasi liberté mais donc aussi maltraités. Cette douleur est soulignée par la musique où un thème à la clarinette devient entêtant, tout en douceur, avec sa beauté nostalgique sur quelques notes.