Lorsqu’on va voir un drame horrifique autrichien, qui plus est réalisé par Severin Fiala et Veronika Franz, duo de cinéastes découvert avec le perturbant Goodnight Mommy et affiliés à l’écriture de plusieurs longs-métrages du roi de la provocation Ulrich Seidl, on se doute avant même le début de la projection que l’expérience sera tout sauf consensuelle et agréable.
Les premières minutes donnent le ton : dans la Haute-Autriche du 18ème siècle, une jeune femme au regard éteint, errant apparemment sans but dans la forêt, lâche sans hésitation le nourrisson qu’elle tient dans ses bras du haut d’une cascade, dans un plan fixe suffisamment éloigné pour nous épargner les détails les plus sordides mais qui ne laisse aucun doute sur ce qui se déroule à l’écran. Pour cet acte, dont les motivations ne seront jamais clairement établies, elle se voit condamnée à mort. Dans un village tout proche est célébré le mariage entre Wolf et Agnes (Anja Plaschg, chanteuse connue sous le nom de scène Soap&Skin, impressionnante pour son premier rôle au cinéma). L’idylle de la cérémonie laisse cependant rapidement place à une cruelle désillusion : la maison du jeune couple évoque davantage un cachot glacial qu’un foyer accueillant. La mère de Wolf, femme directe et endurcie par une vie de labeur, ne laisse aucune marge de manœuvre à sa bru et trouve toujours le moyen de la rabaisser dans son estime de soi. Incapable d’aider efficacement aux travaux de la communauté ou de donner un enfant à son époux (visiblement plus attiré par les hommes), se considérant de plus en plus comme un poids mort, Agnes sombre progressivement dans une mélancolie paralysante, attirant sur elle des suspicions de sorcellerie.
Bien que présenté par certains comme appartenant au genre du folk horror, le long-métrage ne contient en réalité aucune composante surnaturelle (si ce n’est au détour de quelques scènes oniriques matérialisant le cauchemar mental vécue par son héroïne) et s’ancre au contraire dans une réalité historique : le titre fait ainsi référence à une expression de l’époque désignant les personnes dépressives, prises au piège dans le « bain du diable ». Cette absence de fantastique, ainsi que le rythme volontiers languissant, risquent de déstabiliser les spectateurs se rendant en salle avec une idée préconçue de l’œuvre. The Devil’s Bath est pourtant bel et bien un film d’horreur au sens premier du terme, celle qui prend sa source dans nos peurs ancestrales et les démons de notre psyché. Épaulés par la photographie splendide de Martin Gschlacht, ainsi que par une partition sonore anxiogène composée par l’actrice principale, Fiala et Franz décrivent avec une patience méticuleuse la descente aux enfers d’une femme accablée par un mal qu’elle ne comprend pas, et ne rencontrant, en lieu et place d’une compassion salvatrice, que le mépris d’une société lui refusant le droit d’être autre chose que ce qu’on attend d’elle. Un calvaire tristement contemporain, ne pouvant mener qu’à un acte désespéré d’une violence tétanisante, mais qui donnera paradoxalement à Agnes la possibilité de laisser enfin éclater toute sa douleur et sa tristesse lors d’un monologue déchirant.
La dernière scène, culottée au possible, achève d’enfoncer le clou du malaise. Et les vociférations paillardes d’une foule en liesse ne peuvent masquer longtemps un ultime hurlement (de désespoir ? d’agonie ? de délivrance ?) qui continue de retentir et de nous glacer le sang bien après que les lumières se soient rallumées.