L’avenir du cinéma de genre serait-il dans la repompée de ses classiques ? La question se pose à une époque où les exécutifs tentent de revitaliser leur catalogue par une approche moderne et ostentatoire, souvent trop artificiel et donc dénué de la même liberté de ton ou de la hargne transgressive qui faisait le sel de leurs modèles de prédilections en raison des impératifs de production. Sur le plan idéologique, les choses ont radicalement changés, puisque le nihilisme de cette vague s’inscrivait dans les mouvements contestataires et sociaux de l’époque durant la guerre du Vietnam, tandis que ces nombreux remake (Massacre à la Tronçonneuse, La Colline a des yeux, La Dernière Maison sur la Gauche) et succédanés ne répondent qu’à une logique de reproduction de ses codes, artifices ou thématiques communes comme la notion de territoire maintes fois esquissés (Détour Mortel, Wolf Creek). Rob Zombie s’y est donc naturellement essayé quant sa chance lui a enfin été donné. Malgré un budget plutôt confortable (entre 7 et 14 millions) et une liberté créative totale, le cinéaste a néanmoins rencontré une réaction épidermique du comité exécutif de la Universal qui n’a pas apprécié ce délire artistique qualifié de dépravant. Les rebuts des uns font néanmoins les trésors des autres, et c’est bien Lionsgate qui se frottera les mains en rachetant les droits de distribution du film qui connaîtra un relatif succès d’estime sur le marché de la vidéo si bien que la compagnie acceptera de lui produire une suite. Mais si La Maison des 1000 Morts multipliait les références pour se fondre dans une pure attraction horrifique, The Devil’s Rejects en prend le contre-pied jusqu’à évincer tout éléments fantastique (Le Docteur Satan n'aura pas survécu à la table de montage) de l'intrigue. Cette séquelle prend même une forme radicalement différente, celle d’un road movie sauvage et endiablé qui place le spectateur dans une position moralement ambigu puisqu’il prend parti pour une famille de psychopathes pris dans la tourmente d’une cavale meurtrière envers et contre tous.


Pour mieux signifier le changement de ton opéré entre ses deux œuvres, Rob Zombie ouvre son film par un plan large et crépusculaire suivi d’une fusillade nerveuse qui va ravager l’intégralité du décor qui lui avait permis d’orchestrer son tour de train fantôme. A l’instar de La Horde Sauvage de Sam Peckinpah, le film s’apparente donc à une fuite en avant à la fois mélancolique d’une époque mais aussi désabusé et hautement nihiliste puisqu’il ne montre souvent que la laideur et les plus bas instincts d’une Amérique rural rongé par la décadence et le vice. Le réalisateur a également fait le choix judicieux d’opter pour le format 16 mm afin de retrouver le grain caractéristique des films d’exploitation des années 70. Mais au-delà de cet aspect purement formel, c’est surtout sa capacité à restituer la substance moelle de ce cinéma à la fois transgressif et libertaire qui lui permet d’en prolonger les thématiques. Le photogramme transpire de tous ses pores la déliquescence ambiante, la crasse des décharges à ciel ouvert, le sang séché, les effluents de vieille sueurs et de charogne faisandées, ou bien l’haleine fétide du Capitaine Spaulding débarrassé de sa jovialité autrefois communicative qui fondent comme ses oripeaux de clown sous une chaleur de plomb pour ne révéler que ses balafres, ses dents jaunit par le café et les clopes, et son regard noir de tueur. Comme leurs victimes nous nous retrouvons pris en otage et atteint du syndrome de Stocklholm, puisque nous finirons pas éprouver autant de fascination qu’une sincère sympathie pour eux face au joug d’une justice expéditive.


Il faut dire que le film brouille activement la frontière entre le bien et le mal puisqu’il oppose son trio de fugitif à un shérif qui va peu à peu succomber à ses pulsions criminelles et se transformer en monstre d’homicide. Le parallèle est d’autant plus troublant que les personnages gagnent en profondeur grâce à l’entremise de leurs rapports intimes qui nous les montre sous un jour nouveau. Ces pauses récréatives permettent de les rendre plus attachant et authentique à contrario du sadisme de leur méfaits (la prise d’otage particulièrement éprouvante dans le motel), mais aussi de casser le rythme effréné du long-métrage que le réalisateur allège de dialogues orduriers (le mot « fuck » est prononcé un certain nombre de fois) et de situations parfois nonsensique (l’embrouille avec un cutéreux qui encule ses volailles, l’otage affublé d’un masque en peau humaine qui finira écrasé sous un 40 tonnes) propre au monde de la série bis. Finalement le réalisateur ira même jusqu’à inverser les rôles de chacun de ses protagonistes comme dans un jeu de chaise musicale. Le Shérif Wydell finira par prendre le rôle de bourreau et de croquemitaine. Otis celui du martyr supplicié (son look de beegies lui donne d’ailleurs des airs de gourou divin entre Charles Manson et Jésus). Quant à Baby celui de la scream squeen abusé et terrorisé dans un dernier quart d’heure où elle se retrouvera être la proie d’une traque dans ce qui était autrefois son terrain de chasse de prédilection. Mais c’est aussi pour son final exaltant que l’on finira par prendre définitivement parti pour le trio lorsqu’ils sonneront la charge contre un barrage routier avant que les déflagrations ne finissent par interrompre le solo endiablé de Lynyrd Skynyrd. L’œuvre du diable accompli, Baby, Otis et Cutter s’offrent un aller simple pour l’enfer. D’une certaine manière, l’impact de The Devil’s Rejects sur le public est surtout d’ordre générationnel comme a pu l’être Massacre à la Tronçonneuse en son temps. Quant à considérer l’existence de l'anecdotique 3 From Hell, cela relève tout bonnement de l’infamie.


À ce que l’on dit, c’est le voyage qui compte, pas la destination, et les détours mortels surtout... Alors si toi aussi tu aimes bouffer de l'asphalte au sens propre comme au figuré, rend toi sur L’Écran Barge. Tu y trouveras quantité de sérial-autostoppeurs et de chauffards frustrés.

Le-Roy-du-Bis
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le 16 sept. 2024

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