Sous ce titre peu encourageant j'en conviens, ce cache probablement mon plus gros coeur de coeur de 2015 à l'heure où j'écris ces lignes. Moi qui avait du mal à départager mon top 3, ça m'arrange. Car mieux vaut ne pas s'arrêter au pitch qui pourrait donner l'impression d'un film malsain un peu déjà vu, voire un hommage bien réalisé mais sans grande âme. The Duke of Burgundy (qui est en rapport avec une espèce de papillon me dit-on dans l'oreillette) est bien plus que cela, c'est un trip esthétique et un parcours émotionnel sublime.
Ca commence d'ailleurs bien, avec un générique de début original et coloré, laissant apparaître les prémices d'une lumière qui se révèlera magnifique tout au long du film. Ici, clairement, l'univers colorimétrique se définit par rapport à l'animal en périphérie du film : le papillon. Quel rapport avec une relation sado-masochiste entre deux femmes, je n'en sais rien à vrai dire, même si la métaphore du cocon illustre assez joliment le paradoxe inouï du film : ce n'est pas la figure "dominatrice" dans le jeu qui "domine" émotionnellement le couple. La chenille dans son cocon est ainsi finalement plus épanouie que le papillon.
En cela, le pari scénaristique du film prend à revers tout ce que j'ai pu voir sur les relations SM voire les relations lesbiennes jusque là (encore qu'il faudrait que je vois notamment Persona), et le retournement qui opère après le premier quart du film en est déjà un des moments forts. Là où je pensais voir une femme qui se laisse humilier et ainsi m'immiscer dans sa psychologie particulière, le film est en fait le portrait d'une relation de couple avancée qui s'adonne à des jeux érotiques la journée.
Oui mais voilà, plutôt que de poser la question de savoir si quelqu'un qui domine l'autre l'aime, le film pose intelligemment la question inverse : comment peut-on ressentir l'amour de l'autre quand on est pris dans un rapport de domination presque forcé ou en tout cas chronométré ? Comment être sûr de ne pas exister pour l'autre au-delà du simple objet sexuel ? Le film ne réponds bien sûr pas vraiment à ces questions, laissant plutôt ses deux personnages vivre sans les juger, se poser elles-mêmes ces questions et essayer d'avancer dans leur relation. Le portrait d'une relation SM devient alors petit à petit "simplement" le portrait d'une relation amoureuse.
Le film évite d'ailleurs magnifiquement à peu près tous les clichés attendus d'une telle relation (sauf le coup de la trahison des bottes, légèrement convenu), grâce à deux actrices talentueuses, une sobriété non dénuée de sensualité et une esthétique à tomber par terre. En effet, les mouvements de caméra sont envoûtants, les jeux de miroirs sublimes et l'ambiance visuelle à la fois glaçante et chaude. C'est bien simple, je n'avais pas vu de telle perfection visuelle (et sonore !) depuis Under The Skin. Car les sons, travaillés à partir de références venant de la nature, sont également superbes. En cela, les dernières vingt minutes sont le point culminant du film, atteignant une poésie expérimentale m'ayant quasiment donné les larmes aux yeux.
L'émotion en elle-même est relativement peu présente, le film ne cédant pas au mélodrame, néanmoins elle explose dans une scène vers la fin du film. Une explosion intérieure encore une fois, mais il n'y avait guère de meilleur moyen de faire sentir le désespoir et l'amour entre les deux femmes. La toute fin manque peut-être un peu de force, mais elle reste finalement logique par rapport à la relation, et presque terrible en soi.
Un énorme coup de coeur donc, pour un film sensible, beau et bouleversant. Dommage qu'il soit si peu vu et distribué.
P.S. : et voilà, j'ai honte de mon titre maintenant.