Le précédent film de Peter Strickland, Berberian Sound Studio, était une oeuvre ultra-référencée qui malaxait et réinterprétait les motifs principaux des gialli, les thrillers italiens seventies très codifiés. Cette fois-ci, c’est vers les longs métrages érotiques de ces mêmes années 1970 que lorgne ce nouvel exercice de style. Les partis pris visuels sont marqués, entre expérimentations formelles et tentatives (réussies) de coller au plus près à l’esthétique de ses modèles. Le travail sur le son est, quant à lui, une fois encore, remarquable. Autrement dit, le pastiche intello des films de Tinto Brass s’impose comme une expérimentation sensorielle et maîtrisée.
The Duke of Burgundy se déroule dans un lieu et à une époque qui ne sont pas clairement définis. Les protagonistes évoluent dans un univers hors du temps et loin des hommes : aucun homme n’apparaît à l’écran. Ironiquement, la seule présence masculine se trouve dans le titre. Et encore, ce « Duke of Burgundy » (la Lucine, en français) est un papillon, l’emploi de ce nom renvoie à la passion des deux femmes pour l’entomologie. L’histoire décrit la relation dominante/dominée entre deux femmes, Evelyn et Cynthia, et s’amuse à se jouer et à déjouer les rapports de force. Par de mini retournements de situation, Peter Strickland nourrit le trouble du spectateur et dérange la manière dont il perçoit la distribution des rôles.
De l'érotisme au romantisme
Le film déborde de sensualité, mais il est pourtant relativement chaste : pas le moindre début de pointe d’aréole n’apparaît à l’écran et la caméra se tient souvent à distance, quant elle ne privilégie pas les hors-champs, lors des ébats les plus poussés. C’est l’imagination du spectateur qui fait tout le travail. L’esprit de celui qui regarde se fait son propre film : à la dimension sensorielle s’ajoute un niveau cérébral. Celui qui est au centre de la relation sado-masochiste, où le plaisir est tout autant généré par les actes en eux mêmes que par l’attente, la frustration et l’humiliation contrôlée éprouvées face à ce jeu de rôles sexuel.
Mais le coeur a ses raisons que la raison ignore et ce sont les sentiments, et non les vexations, qui font vaciller l’équilibre du couple formé par Cynthia et Evelyn. Leurs jeux de l’amour ne laissent aucune place au hasard : tout est organisé, programmé, ritualisé. La routine, quelle qu’elle soit, est la redoutable ennemie des couples. The Duke of Burgundy n’a alors plus qu’à ôter progressivement ses atours libidineux pour se révéler comme un mélodrame empreint de romantisme. Le dernier coup sera pour le coeur.
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