Il est des films qui font peu parler d'eux, voire pas du tout, mais qui pourtant recèlent tant de trésors, tant d'inventivité et d'originalité qu'on se demande comment ils ont pu passer inaperçus. C'est le cas de The Fall, qui n'a toujours pas touché les salles obscures françaises alors qu'il est sorti pour la première fois le 9 décembre 2006 au festival de Toronto, puis a débarqué aux USA le 30 mai 2008. La carrière du film est chaotique, et on a tendance à penser que les distributeurs rechignent à l'exploiter, pour une raison qui m'échappe.
The Fall est l'oeuvre de Tarsem Singh, qui n'a pour le moment que The Cell à son palmarès. Certes, The Cell non plus n'a pas emballé les foules : on a pointé du doigt la minceur de son scénario et sa "surenchère esthétique". Certes, The Cell n'était peut-être pas, narrativement parlant, une grande réussite, mais ce que beaucoup considèrent comme surenchère esthétique, moi j'y vois du génie...
The Fall témoigne d'une plus grande maturité et d'une recherche appuyée de la part de Tarsem. Inspiré d'un film bulgare (Yo ho ho, 1981), le film raconte comment Alexandria, une petite fille haute comme trois pommes qui séjourne à l'hôpital pour une fracture du coude, va se lier d'amitié avec un cascadeur paralysé à la suite d'un accident de tournage. Celui-ci, en échange d'une histoire épique qu'il lui raconte par épisodes, cherche à obtenir de la morphine dans le but (d'abord peu clair) de se suicider. Lee Pace (Pushing Daisies) interprète avec justesse l'acteur désabusé, brisé, qui va séduire l'enfant et lui mentir, tout en étant jamais vraiment maître de la situation. Il a en effet en face de lui une fillette qui a du répondant, sous les traits de Catinca Untaru, petite rondouillarde craquante et plus lucide qu'il n'y paraît, à cent lieues des enfants faussement naïves (mais vraiment inutiles) auxquelles Hollywood nous a habitués. Un lien se tisse entre les deux personnages, qui finissent par avoir autant de pouvoir l'un que l'autre sur l'histoire que raconte Pace.
Le film est (moyennement) convenu dans sa narration (le coup classique du "je te raconte une histoire que tu imagines en recomposant des éléments de la réalité qui t'entoure"), mais réserve quelques surprises, et approfondit son thème (peut-être même plus que ne le faisait Del Toro dans Le Labyrinthe de Pan). Mais The Fall est surtout prétexte à la "surenchère esthétique" que certains critiques reprochent à Tarsem, et qui pourtant donne au film une prestance incroyable. Tarsem ne cherche pas la surenchère : il cherche juste à faire quelque chose de beau (oui, de nos jours, quoi qu'on en dise, on peut encore s'extasier sur la beauté d'un film). L'histoire principale (celle de la petite Alexandria et de Roy Walker) se déroule à Los Angeles dans les années 20, donnant à cet univers une touche, dans les décors et les couleurs, qui oscille subtilement entre les mondes latins et indiens. L'histoire que raconte Roy Walker, quant à elle, donne lieu à une débauche esthétique parfaitement jouissive, dans des décors naturels hallucinants de beauté (et sans intervention - du moins visible - d'un ordinateur) et des cités d'Orient sublimées par une photo impeccable. Les tons sont vifs, comme si le cinéaste avait projeté les pigments directement sur la toile. Je vous réserve la surprise quant au déroulement de cette histoire-ci.
Le film est aussi un hommage au cinéma, d'une part par la présence des collègues acteurs de Roy Walker (qui jouent aussi un rôle dans l'histoire qu'il raconte à la jeune Alexandria), d'autre part avec des clins d'oeil récurrents au cinéma comme théatre d'ombre, vecteur de magie visuelle (le cheval dont l'ombre apparaît inversée lorsque le soleil passe par le trou de la serrure, le générique de début en noir et blanc, un chef-d'oeuvre à lui tout seul, ...). On notera que Tarsem semble obsédé par les chevaux. Déjà, dans The Cell, un cheval se faisait découper en rondelles, mais là ça va beaucoup plus loin. Les chevaux sont partout, magnifiés, nécessaires : c'est un cheval que repêche l'équipe de tournage après l'accident de Roy, un cheval encore dont l'ombre passe par la serrure, insérant subtilement la métaphore qui domine le film ; des chevaux filmés non pas comme de simples moyens de locomotion, mais centrés dans l'image, prédominants sur le son, occupant le plan de manière plus prégnante que les humains eux-mêmes.
Tarsem Singh a pris de la bouteille depuis The Cell, et propose son univers très particulier, oriental, indien, pris entre des étendues désertiques et des cités labyrinthiques. Un cinéaste qui talonne sans problème les Burton, Gilliam et autres Del Toro. Un magicien, en somme, comme on aimerait en voir plus souvent. Dommage que le film n'ai pas encore débarqué en France...
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