"C'est quoi, concrètement, la sénilité précoce ?", si vous n'arrivez pas à vous l'imaginer très exactement (un peu comme tout le monde), ne vous inquiétez pas, The Father va vous montrer. La brillante idée de ce drame est d'être construit du point de vue du personnage sénile, on partage donc son expérience du quotidien qui est tout à fait angoissante : on nous change les acteurs pour un seul et même rôle (on ne les reconnaît donc pas, en même temps que le pauvre papy), on nous suggère plusieurs noms pour une personne, on entre et on sort des pièces de façon illogique (on arrive dans un hôpital en sortant de l'appartement, ce qui est en fait un souvenir), on nous montre plusieurs versions presque pareilles (mais pas tout à fait) de l'appartement. Au début, on ne sait plus si la cuisine était vraiment comme ça, ou si c'est nous qui gâtouillons, on ne sait plus (à force de revivre différentes versions des dialogues qui disent tout et son inverse) si le personnage nous a bien dit qu'il partait vivre ailleurs, ou si on l'a mal interprété, on fait des boucles temporelles qui nous font cogiter à cent à l'heure pour tenter de joindre les deux bouts, et l'on se sent souvent perdus et fragiles face à l'intrigue qui semble nous répéter gentiment et patiemment "mais si, on te l'a dit, rappelle-toi", ce à quoi on répond un "Euh, oui, euh, attends que je me rappelle...". On devient le papy sénile, et c'est absolument terrible. The Father est d'autant plus déchirant que l'on vit le quotidien du papy, plutôt que de simplement le comprendre par empathie depuis l'extérieur, une prouesse technique et narrative très bien servie par ses acteurs. Anthony Hopkins, qui a su autrefois nous épater en jouant les fous, nous subjugue aujourd'hui en interprétant le sénile, avec une bipolarité tout à fait crédible, tandis que l'excellente Olivia Colman nous fend le cœur en nous montrant le poids insoutenable pour la famille d'avoir à gérer les accès de démence, et en même temps de culpabiliser en voyant le placement en institut comme un abandon. Le montage est tout bonnement incroyable, les chefs décorateurs et costumiers sont à applaudir pour leur travail sur les similitudes (on cherche sans arrêt ce qui a changé, car, on en est sûr, "y'a un truc qui a changé, mais quoi..."), et le scénario est un partage d'expérience rare. Le final nous met la larme à l’œil (pauvre vieux), terminant de nous anéantir après avoir passé une heure trente dans la peau de celui qui fait constamment le quatre-fois-cent-mètre-haies mental pour tenter de raccrocher du sens à chaque stimuli visuel ou auditif qu'il a sur l'instant, un travail épuisant et d'autant plus triste que, nous, ne devons le subir que pendant une heure. Original, bouleversant, utlra-immersif, The Father est, lui, inoubliable.

Aude_L
8
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le 10 avr. 2021

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Aude_L

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