Le Parc et The Fits permettent de commencer l'année 2017 avec des films à la fois originaux et ambitieux, dont les moyens techniques parfois rudimentaires servent totalement leurs propos et ne peuvent cacher leur puissance évocatrice. Les films de Manivel et Rose Halmer parlent de la jeunesse hors des grandes villes, qu'elle soit coincée dans un espace ouvert ou clos, ils ne nous rabâchent pas les maîtres mots des films de banlieue (violence, drogue et prostitution, salut Divines), au contraire, ils occultent complètement tout discours embarrassant en se concentrant sur ce qui est essentiel : le sensitif, sans toutefois rester trop enfermés sur eux-même (les petites touches de burlesque dans le Manivel, les pas de côtés pour le Rose Halmer avec ses multiples personnages secondaires).
Ainsi, The Fits avec sa splendide gestion des espaces (travellings audacieux où l'action peut d'un coup basculer d'échelle) et de l'univers sonore (bande son géniale avec des saxophones langoureux-mystérieux imprimés sur des sons plus électro), est un régal sensoriel. On ne peut que souligner la puissance et la crudité de la mise en scène, son côté rentre-dedans, frontal (le premier plan), tout en évitant d'être poseur (il y a toujours un plan d'ensemble qui vient articuler le singulier avec le pluriel). Car c'est cela aussi, la matière formidable du film : la contagion des corps.
C'est quelque chose que Rose Halmer parvient très bien à mettre en scène : la danse est une phénomène quasi maladif, comme le sont apparemment ces convulsions (que l'on pense dues à de l'eau saumâtre) qui agitent les danseuses tour à tour, mais qui, et c'est une formidable idée, deviennent (aussi) des rituels de passage vers une maturité corporelle ou psychique. Des moments qui, outre la fascination qu'ils provoquent chez les observateurs, sont des vrais moments de transe pour leur victime. A la manière d'Epidemic, où les images d'un film infectent au sens propre les comédiens, l'art se propage comme une forme d'ascension vers un univers de fantasmes et de possibles (la prodigieuse fillette de 9 ans qui joue Toni, se rêve dans la parade, dansant au milieu d'une troupe synchrone, dans tous les endroits possibles de son quotidien et non devant un public. Une élévation spirituelle, les yeux dans le vide, comme ceux de l’héroïne de Manivel, qui, hypnotisée par sa rage et sa tristesse, prend au sens littéral ses propres mots et parcours comme une furie la forêt nocturne. Les yeux de la jeunesse, brassés par les paysages de vestiaires de danse comme de boxe (parallèle que ne renierait pas Wiseman), illuminés par le reflet des autres, leur force, leur prestance. Et même si la danse que filme Rose Holmer est symptomatique d'une idéologie outrancière et combative, elle réussit à rendre les mouvements tout à fait sensés dans un esprit de groupe, porteurs d'un engagement collectif à affirmer sa vitalité, son entrain en accord avec les autres.
En outre, le film a le bon goût de travailler une totale ambiguïté sexuelle avec son personnage principal, nommé "Toni", ainsi qu'avec ceux qui l'entourent, pour déjouer nos à priori sur ce que pourraient réellement signifier ces instants de bursts physiques. C'est au contraire au moment où Toni s'éloigne de la danse qu'elle subit la crise, peut-être à cet instant où, après avoir réfléchie dans cette vaste piscine vide, elle comprend qu'elle devra sans doute passer par là ; et peut-être même que l'expérience finit par la séduire ! Une foie frappé par le phénomène, elle semble, dès les premiers instants être totalement transportée, heureuse, presque consciente du moment, comme en état de transe musicale.
La dernière possibilité, la plus belle, entre alors en jeu : si nous voulons vraiment donner une explication à ces convulsions, peut-être devrions nous déjà les expérimenter par nous-même, puisque chaque individu semble la vivre différemment, comme une expérience sexuelle au combien intime, comme écouter son album préféré et échapper à toute gravité, les "fits" ne demandent pas à êtres intellectualisées mais sont de véritables invitations à vivre le nirvana. Tout comme ces émotions vives que nous espérons tous avoir un jour ou l'autre devant un film, elles demeurent rares, secrètes et presque mystiques.