Ça se passe comme ça chez McDonagh (4) : Le fossile et le marteau

VERSION COURTE

Voilà ce qui arrive quand, après seulement quatre longs-métrages, un réalisateur nombriliste est déjà esclave de ses tics cinématographiques (tout particulièrement la marrade dialoguée compulsive) : il grille, sous le soleil d’Erfoud et du Sahara marocain, une histoire au potentiel énorme ; il ensevelit sous le sable chaud de sa paresse le talent d’un Ralph Fiennes marmoréen et d’une justesse comme souvent impressionnante ; il brûle les talents annexes ; il crame des questionnements essentiels sur la culpabilité, la rédemption et le pardon.

La déception l’emporte toutefois sur l’affliction, car, outre des jeux d’acteurs remarquables, surnage tout de même une atmosphère épaisse, enveloppante, limite capiteuse, qu’il faut bien mettre au crédit de McDonagh.

VERSION LONGUE (avec divulgâchage)

D’un côté, venus s’éclater dans le désert marocain, des spécimens de l’Occident repus, festif, décadent, et toujours conquérant.

De l’autre : de nobles et sages Berbères… bientôt blessés.

Entre les deux, au service des premiers : des Arabes frustrés, sans doute envieux, mais tout aussi méprisants que leurs « maîtres ».

Le fils du désert

Je n’ai pas lu le roman dont est adapté ce film y est seulement vérifié quelques… bricoles , mais, à supposer que les thématiques de la faute, de la culpabilité, de l’expiation et du pardon en constituent la charnière (sans parler du colonialisme, de la religion, de l’interculturel etc.), la barre était trop haute pour un John Michael McDonagh qui, en 2016, léchait savamment les babouches du néo-humain des salles à gros coups de fun débridé.

Reprenons :

D’un côté, donc, des Blancs oisifs week-end de fête somptueux chez les Rastaquouères (mais loin d’eux) , picoleurs, hypocrites, ignares, gaspilleurs, irrespectueux…

Parmi la petite meute faquine, un couple chez qui il semble rester un fond de décence et de conscience réelles les autres bavasses par habitude ; pour faire semblant de ne pas oublier qu’ils sont censés être des humains (parmi eux, forcément, une « French cunt ») , notamment sur leur misère conjugale, la laideur et la bêtise (environnante[s]).

Or c’est sur eux, bien entendu et non pas sur la pute mondaine de base qui, privée d’imagination, se vante de pouvoir aspirer une balle de golf dans un tuyau d’arrosage que s’abat le froid destin du chaud désert : l’accident.

Le père de l’adolescent tué un Berbère, pas un Arabe (différence qui sert d’artifice pour marquer les clivages entre Maghrébins, sinon leur richesse, et faire en tout cas valoir la culture du personnage principal, David) vient demander au chauffard (ce même David) de le raccompagner avec le corps de son enfant unique…

Le pas-chiant anglais

Ce « tueur » (David Henninger / Ralph Fiennes, parfait), un médecin britannique atrabilaire et ricaneur … accepte.

Lui qui avait déjà fait l’effort d’emmener sa femme (invitée à la sauterie) dans cette région de peu ! …

Un gars fort docile, finalement, compte tenu de son rapport aux Hommes.

Doux-Jésus—Marie—Joseph… Comment donc McDonagh, après son effroyable War on Everyone, va-t-il traiter ce voyage ?

Ce qui ne colle pas, d’abord (en trois points) :

1/ Ce tic consistant à faire s’entrechoquer le trivial et le grandiose.

Certes, il n’a pas forcément pour origine, chez Mc Donagh, le culte de la déesse Putasse (« Le spectateur, c’est un cerveau, un cœur et un trou de balle. Je lui caresse les trois. »). C’est peut-être un gars sincère. Le problème est que ses grands-écarts font mal.

Voyez plutôt ses évocations (implicites/explicites) de l’empapaoutage, soit la part triviale de l’Homme :

L’Irlandais (2011) :

— He's gay. You know, when one man puts his...

— I'm familiar with the mechanics of it, yeah.

Calvary (2014) :

« I was raped by a priest when I was seven years old. Orally and anally as they say in the court reports. »

War on everyone (2016) :

« You know what the worst thing about jail is? (…) The violent anal sex.»

The Forgiven (2022) :

« What's the point of a hooker if she doesn't do anal? »

4 films, 4 évocations de l’enculade « le spectateur adore » me confie Fiona Sodomly, l’assistante en chef de McDonagh.

Et donc, en contrepartie de ce pif dans le caca : le nez dans la métaphysique, le monde, le ciel, les étoiles :

L’Irlandais (2011) :

— Nietzsche! You haven't fucking read any Nietzsche.

— I have, too. Erm, "The Antichrist".

— Quote me something, then.

— "What does not kill me"...

— Fuck's sake. Every child knows that.

Calvary (2014) :

« And all that up in the sky. And if we're good we'll go to heaven. And if we're bad we'll go to hell. »

War on everyone (2016) :

« Do you ever think that you're God and everything else is just an illusion ? »

The Forgiven (2022)

« Well... the world is a dreadful place, my father used to say. And the best you can do is make fun of it. »

N’en jetez, plus, la couscoussière est pleine !

Vous avez raison, Ahmed de Baufreterre.

Aussi, attaquerais-je le 2e point de ce qui ne va pas dans ce film et qui était largement annoncé dans les trois productions précédentes.

2/ L’humour à tout prix

La rigolade dialoguée, frénétique et prétendument décalée , est le moteur de McDonagh.

Il est bel et bien esclave de l’amusement, un amusement à tout prix qu’il équilibre systématiquement et maladroitement à coups de moments philosophico-humanisto-foireux.

3/ Facilité, vénalité

C’est cette addiction à l’humour, couplée à ce qui semble ici être l’envie de caresser le crétin-éveillé dans le sens du neurone, qui a poussé McDonagh à ajouter des éléments inexistants dans le roman lui qui a changé le nom original Henniger en Henninger (une telle servitude force le respect) :

— nulle trace de prof chahuté à coups de souris ‘’volantes’’ équipées de mini-parachutes frappés de la croix gammée, tout cela à l’instigation du jeune Henniger

— nul journal intitulé England without Darkies (Une Angleterre sans Négros) par ce même jeune Henniger

Ce que je comprends, c’est qu’en plus de surfer sur la bouillie wokiste, il fallait noircir le portrait de son personnage principal en faire un bien gros cynique au passé trouble afin de rendre plus belle son mea culpa au milieu des Berbères.

Les tentatives de McDonagh de contrebalancer son opposition massive Blancs/Arabes & Berbères sont elles aussi mal goupillées : on nous montre des Occidentaux imbuvables et nihilistes mais pleins d’esprit, avec pour certains des traits de lucidité ; en face, des autochtones ployant sous le poids de la tradition (interdiction de parler à un kouffar, femmes pleurant le mort en mode automatique…).

Ça sent trop le bricolage. C’en est au final presque ridicule.

( cf. cette scène grotesque du père, qui s’est pourtant confié la veille au soir au meurtrier de son fils, et qui le lendemain matin, rageur sort... puis rengaine aussi sec son coutelas…)

La facilité, c’est aussi donner de nouveau un rôle d’excentrique à Caleb Landry Jones, cinq ans après le calamiteux War on Everyone.

La facilité, c’est encore ce final identique à celui de Calvary

La facilité, pour finir (mais je pourrais allonger la liste), c’est le choix de ne pas opérer une coupure radicale au moment où David suit le père de Driss (l’adolescent qu’il a renversé).

Le néo-humain, du fond de son joyeux trou, ne manquera pas de souligner le manque de rythme, alors que c’est précisément l’inverse qui frappe : il eût fallu plus de lenteur, plus de temps encore (le film dure deux heures), et, donc, une césure, un abandon total des teuffeurs pour une longue concentration sur David et ses démons (et, bien entendu, rien sur l'adultère de madame Henninger).

Voilà donc un film au potentiel monstrueux mais qui s’abîme désespérément dans une superficialité commandée par l’égotisme et le marketing.

Comment dit-on « C’est trop dommage » chez les sauvages du désert ?

Arnaud-Fioutieur
6

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le 28 août 2022

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