Le maître du cadrage symétrique revient pour un dixième opus qu’on sentait venir depuis quelques temps maintenant : un hommage grandiose et chapitré d’une ville fictive française nommée « Ennui-sur-Blasé ». Retour sur une vision de la France par un américain dandy francophile texan.
Après « Hôtel Chevalier », court métrage précédant « Darjeeling Limited » et mettant en scène Natalie Portman dans un hôtel luxueux parisien, et sans compter les innombrables références francophiles dans ses films, Wes Anderson nous apporte enfin sur un plateau sa déclaration d’amour à la France et aux français, avec un orchestre d’acteurs tous plus incroyables les uns que les autres et dans un Angoulême méconnaissable : à la fois grotesque, absurde et magnifique, un Paris+Provence des années 50/60.
On rentre dans le film avec une référence plus que transparente à Jacques Tati et le cadrage de la maison dans « Mon Oncle » que tous les cinéphiles français ne pourraient qu’applaudir. S’en suit un film en trois temps, pour trois hommages : un discours sur l’art et son marché avec Del Toro, Adrien Brody et Tilda Swinton en grande forme : orangée. Un Mai 68 dont on tombe amoureux en une seconde avec Chalamet et, pour finir, une course poursuite policière à la Tintin, dirigée par le mystique Amalric et autres Guillaume Galienne, Cécile de France etc.
Le but de cet article n’est pas de vous faire un recap mais plutôt d’applaudir encore une fois tout ce qui fait la beauté de la filmographie du réalisateur : un travail du costume, des décors et des détails irréprochable, une direction d’acteur si sensible et touchante qu’une larme et un rire s’enchaînent aussitôt, des dialogues toujours aussi riches, rapides et pourtant emplis de respirations, un scénario intelligent en tour de force de mise en abîme et finalement : une connaissance du sujet traité sans faille, et qu’aucun réalisateur français à ma connaissance aurait pu atteindre car il se serait stoppé et aurait crié « Ah non, voilà qui est trop cliché! ». Avec Wes, les clichés sont beaux, et nous rendent fiers de notre bleu blanc rouge. Notre obsession pour tout ce dont parle le magazine est à la fois ce qui nous définit et nous rend unique au monde : un absurde orgueil mêlée d’une obsession amoureuse de l’art, une relation bien particulière avec l’autorité et, évidemment, de la cuisine!
Après discussions et débats, j’entends que le film est « difficile à suivre » que c’est « un sacré bordel quand même » ou même qu’il faut « s’accrocher les 20 premières minutes », je tiens à rappeler aux spectateurs quelque chose, et ce, quelque soit le film, sans vouloir faire le maître cinéma, mais en partageant une pensée que des maîtres m’ont annoncé il y a déjà des années et que je reformulerai ainsi : laissons du temps au film, ne nous précipitons pas en explications ou dans le rationnel, car ça, nous en avons déjà plus qu’il n’en faut dans nos vies. Laissez, pareil à un visionnage de Mulholland Drive, votre esprit se faire porter par la poésie, rêvassez autant que possible et n’essayez point de comprendre. Contentez-vous de rêver avec l’auteur.
Le cinéma de Wes Anderson, à titre très personnel je le vois comme si, sur un kilomètre carré, un homme s’était décidé à empiler des « Thé » de Lu par 10 en laissant 10 centimètres d’écart entre chaque paquet, et qu’une odeur à la fois de biscuits, de souvenirs et d’organisation poétique prenait place là, au milieu des autres de lavande. Un décasyllabe d’images, de couleurs et de sons.