The Game
7.1
The Game

Film de David Fincher (1997)

David Fincher est un réalisateur fascinant. Pas seulement pour sa technique, toujours à la pointe et visuellement irréprochable, mais aussi pour les thématiques qu’il aborde. La grande majorité de ses films étant toujours source d’analyse et d’une réflexion sur le personnage incarné dans l’histoire. Ici dans The Game, probablement l’un des plus intéressants, il aborde avec brio et complexité la perte d’identité ainsi que la quête du héros à se retrouver, pour s’intégrer à un univers qu’il avait appris auparavant à dompter. Un thème maintes fois abordé, et qui rappellera de manière claire La Mort Aux Trousses, mais qui à toujours le mérite d’être source d’intérêt et qui amène le spectateur à réfléchir.

Car Nicholas Van Orton, le héros du film, est à s’y méprendre, dans la même situation que Roger Thornhill dans l’œuvre fantastique d’Hitchcock. Un homme tout ce qu’il y a de plus banal, pris soudain dans un tourment qui l’amènera à lutter pour sa survie ainsi que la vérité. Michael Douglas campe ici un homme richissime, véritable professionnel de la Bourse. Fraichement divorcé, il mène une vie tranquille qu’il contrôle parfaitement, du simple petit déjeuner routinier aux fluctuations financières durant ses heures de travail. Un héros ancré dans la monotonie et les actes répétitifs qui lui permettent de prendre le dessus sur une vie peu heureuse, suite au suicide de son père. Contrairement à Cary Grant dans les années 50, c’est lui-même qui se jettera de son plein gré dans cette grande partie de jeux de rôles où le réel et l’irréel se joignent pour ne former qu’une dimension dans laquelle lui-même, comme le spectateur, va se retrouvé emprisonné. Pourquoi se lancer dans une telle aventure quand on contrôle absolument tout et que notre vie semble faite pour avancer sur un rail ? Peut-être tout simplement le plaisir de la découverte, la découverte de soi-même et de recoins de notre personnalité encore jamais mis à nu. Comme le démontre l’affiche du film, c’est avant tout une volonté pour le héros de retrouver une identité et de remettre de l’ordre dans le puzzle qu’est son esprit, troublé encore par le fait qu’il ait vu son père sauter de la résidence familiale. Une demeure dans laquelle il s’enferme, seul, ne cherchant qu’à oublier, jour après jour, ses névroses et ses mauvaises pensées, allant jusqu’à refuser les félicitations de son ex femme lorsqu’elle lui souhaite un joyeux anniversaire.

Intrigué, souhaitant mettre du piment dans sa vie qu’il juge probablement trop morne, il va s’engager dans une quête qu’il pense pouvoir contrôler alors qu’il devra au final toujours plus s’adapter, les situations s’enchaînant tambour battant à mesure qu’il s’approche de la vérité. Réalité ou non, là n’est pas la question, le but étant de savoir à quoi tout cela va mener, pourquoi donc faire tout cela si c’est seulement pour jouer ? Car au fond de lui, le héros commence sérieusement à douter de sa personne, de ses capacités mentales et de ses actes futurs qui pourraient engendrer des répercussions toujours plus graves. Le prix d’une identité propre est-il si cher ? Car au final, sa véritable personne n’est visible que par sa fortune, qu’il défend en mettant à la porte les éléments gênants, et non par ses actes journaliers, qui se révèlent tous plus banals que les autres. Des gestes sans saveurs, réglés comme un métronome et présentés de façons sobre et élégante par la caméra. Il est d’autant plus intriguant qu’il s’immerge dans un tel procédé qu’il aurait pu auparavant se remettre en question, au lieu de refuser continuellement les mains tendues et les possibilités de bonheur qui lui étaient offertes par le biais de sa famille, de son jeune frère – brillamment interprété par Sean Penn – ou même par sa vie, qui lui offrait bon nombre d’opportunités. Comme le dit si bien le représentant de la société dans laquelle Van Orton va s’engager : « Nous fournissons ce qui vous manque ». Le héros à donc besoin d’un tremplin pour reprendre en main sa vie, il doit y être poussé. Mais ce qui lui manque ce n’est pas un intérêt, c’est bien une identité.

Une identité qu’il va progressivement perdre et retrouver au fil de l’aventure. Au départ respectable grand patron d’une banque d’affaires, il va être impliqué dans différentes situations plus ou moins gênantes, comme lorsqu’il verra sa personnalité et sa mentalité bafouées par des accusations de drogue et de prostitution. Traité comme un criminel, mis au pilori et cerné par les personnes envers qui il commence à perdre confiance, il se retrouvera progressivement mis à nu, contraint de se rabattre sur l’argent qu’il possède lorsqu’il devra se dépêtre d’une situation à risque. Une fortune qui au final ne représente plus grand chose quand il se retrouvera drogué et utilisé dans le but de vider tous ses comptes en banque, et donc de ce qu’il reste de sa personnalité. Meurtri et laissé pour mort, il ne lui restera que son costume d’homme fortuné et la montre en or de son père pour se refaire une image, une vie. Se débarrassant de son passé et du carcan de son père, il perd volontairement ce qu’il lui reste, afin de renaitre par lui-même. Un nouvel homme à la facette jamais vu, violent et paranoïaque, qui n’hésitera pas à mettre les autres en danger de mort pour son propre compte. Ayant retrouvé son identité, sachant désormais qu’il ne représente pas que la fortune, il reprend le contrôle pour cette fois-ci comprendre et trouver des réponses jusqu’aux dernières minutes ou le scénario nous emmènera toujours plus loin, nous perdra toujours plus et qui impliquera nombre de révélations et d’actes.

Se clôturant sur une scène magistralement écrite qui nous présente un héros exorcisé et sa volonté de vivre pleinement son existence, The Game est probablement l’une des œuvres les plus riches de David Fincher qui continue ici de présenter un héros en quête d’image et de personnalité. Un héros souvent perdu dans un décor qui ne lui ressemble pas et auquel il suffit d’une étincelle pour qu’il prenne littéralement forme. Un thème qu’on retrouvera dans nombre de ses réalisations, aussi bien le génial Fight Club que le plus récent et moderne Social Network. Grâce à sa vision moderne et réaliste du cinéma, Fincher arrive parfaitement à intégrer ses héros dans notre réalité tout en y intégrant un soupçon de fiction qui nous permettent toujours d’être subjugué. Sobre et élégant, The Game est, malgré sa fin qui en décevra certains, un véritable travail d’orfèvre dans sa complexité et son suspense qui, en plus d’avoir un fond réflexif, est un véritable film de divertissement.
Florian_Bodin
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de David Fincher et Films dans le canapé - 2017

Créée

le 2 mars 2013

Critique lue 654 fois

1 j'aime

Florian Bodin

Écrit par

Critique lue 654 fois

1

D'autres avis sur The Game

The Game
Gand-Alf
7

L'anniversaire.

Revigoré par le succès critique et public de Seven, qui lui aura permit de tirer un trait sur son expérience catastrophique sur Alien 3, David Fincher récupère un script prévu initialement pour...

le 24 mai 2015

66 j'aime

19

The Game
Torpenn
2

Twist again, and again, and again...

Un David Fincher en roue libre, loin d'avoir atteint sa maturité et qui essaie désespérément de nous faire croire à son scénario ridicule. Une musique insupportable histoire de faire monter un...

le 10 avr. 2011

66 j'aime

30

The Game
mikeopuvty
2

ULTRA GAAAAAAME !

La première demie-heure est pas mal, surtout grâce à la photo. Ensuite, le gros problème réside ici : passé la scène géniale de paranoïa dans les chiottes ( "est-ce que ça a commencé ? Est-ce le jeu,...

le 7 mai 2012

65 j'aime

8

Du même critique

A Ghost Story
Florian_Bodin
10

Laisser sa trace

A lire sur Cinématraque Nous avons tous perdu l’être aimé, dans la mort ou dans la rupture. Quand un couple se divise, ce n’est pas simplement une relation qui s’arrête, mais tout ce qu’elle a...

le 4 sept. 2017

22 j'aime

6

Monuments Men
Florian_Bodin
4

Art mineur

Depuis plus de cinquante ans, les films sur la guerre sont présents dans l'histoire du cinéma. Justement parce qu'ils servent, en général, à juger, critiquer, remettre dans un contexte ou même...

le 12 mars 2014

22 j'aime

Vanilla Sky
Florian_Bodin
9

The little things

Ce n’est pas si souvent qu’un remake soit pertinent et intelligent. Et qu’il soit en plus si bien pensé qu’il arrive à rester encore dans un coin de notre esprit quelques jours après le visionnage...

le 29 janv. 2014

19 j'aime

1