David Fincher s’est imposé, ces vingt dernières années, comme l’un des maîtres du suspense et du thriller. L’un des grands adeptes du twist au cinéma était à l’époque encore loin d’avoir une filmographie aussi prolifique qu’aujourd’hui, mais avait déjà durablement marqué les esprits avec Seven en 1995. Avec The Game, Fincher transforme l’essai et confirme avec un film qui contient toute l’essence de son cinéma.
Nicholas, le héros du film, a tout du personnage exécrable et antipathique, archétype du grand financier à la fortune colossale mais à l’existence peu joyeuse et menottée par son travail. Le film, sans chercher à dévoiler précisément des éléments-clé de l’intrigue (ce n’est pas le genre de la maison), se présente sous la forme d’une vaste mascarade qui consiste en une mise à l’épreuve à l’égard de Nicholas. Globalement, le jeu est omniprésent et Nicholas est perpétuellement plongé dedans. Il s’agit d’une singulière partie de faux-semblants où le rôle de chacun demeure ambigu et où les actions des autres personnages font mettre Nicholas en déroute et à fleur de peau.
Alors, que voir derrière ce jeu ? Son objectif est, d’après le sens pris par l’intrigue, de révéler la vraie nature de Nicholas qui s’est déshumanisé au fil des années et vit sans être réellement vivant. C’est aussi la manifestation d’un monde cruel où le danger est omniprésent et où l’attitude de chacun, souvent fausse, cache quelque chose. C’est une critique de la société qui l’attaque donc de plusieurs manières, en montrant d’un côté ses effets sur Nicholas à travers son caractère taciturne, et de l’autre, sa mécanique manipulatrice et étouffante. The Game, au-delà de la représentation du jeu dans l’intrigue, met l’homme à nu pour le ramener à sa condition originelle et lui faire retrouver sa vraie nature, faisant écho de loin à une citation du Stalker de Tarkovski : « Cœur sec et force sont les compagnons de la mort. Malléabilité et faiblesse expriment la fraicheur de l’existant. C’est pourquoi ce qui a durci ne peut vaincre. » Nicholas, homme endurci par la vie, affronte le jeu avec l’esprit de défaite, mais sa détermination, doublée d’une fragilisation de sa « carapace », lui permettent de l’emporter.
On observe dans The Game une sorte de satire sociale à la fois cynique et brutale, préfigurant le futur Fight Club du même David Fincher. Le monde est dangereux et cruel, l’extérieur regorge de pièges et la société est montrée comme étant oppressante voire meurtrière, ce qui constitue un fil rouge de la filmographie de Fincher. Chacun de ses films exploite la peur du monde extérieur et de l’étranger pour faire venir le danger et mettre le héros face à une mécanique redoutable qui peut prendre diverses formes (un tueur dans Seven et Zodiac, des voleurs dans Panic Room, la société elle-même dans Alien 3, Fight Club, Millenium, et Gone Girl).
The Game constitue, en quelque sorte, l’archétype de ce qui fait le cinéma de David Fincher. Se déroulant en très grande partie la nuit, il nourrit un sentiment de tension sans cesse croissant où le héros plonge inéluctablement dans une sorte de folie qui cache, derrière, une révélation, montrant l’importance des sentiments humains et des liens sociaux. Non sans quelques petites longueurs sans grandes conséquences, David Fincher réalise, avec The Game, un thriller prenant, intrigant et intéressant qui, comme tout film du réalisateur, cache son lot de surprises.