Les bons ingrédients ne suffisent pas toujours à faire les bonnes tartes

Les ingrédients sont là, la recette est connue, mais la sauce ritchienne ne prend pas sur ce dernier film.


Tout ce qui caractérise un film de Guy Ritchie (si on prend comme référence Snatch, Arnaques Crimes & Botanique et Rock'n Rolla) est présent dans The Gentlemen : les gros millions, la drogue autour de laquelle gravite les gros millions- ici le cannabis utilisé comme dans Arnaques, Crimes et Botanique, drogue que Guy Ritchie semble affectionner particulièrement comme support narratif, peut-être pour la raison qu'il fait dire à Mickey Pearson dans le film : "contrairement à l’héroïne, le cannabis ne tue pas"- , des tas de protagonistes dangereux et armés dont les intérêts s’entremêlent pour former une jungle scénaristique tortueuse, portés par un casting sexy et charismatique ; une narration non-linéaire, ici basée sur le récit au temps présent de l'affaire par un journaliste, joué par Hugh Grant, au bras droit de Mickey Pearson -Matthew McConaughey, gangster londonien de première ordre - qui se traduit à l'écran par des flash-back dans le passé ; de la grossièreté à gogo exprimée par des accents british à couper au couteau ; de la violence, mais... pas tant que ça, et c'est à travers ce prisme qu'on peut déceler ce qui ne marche pas dans ce film de Guy Ritchie.


Comparé aux films déjà cités, et même les Sherlock Holmes, le film manque singulièrement de tension. On attend des shoot d'adrénaline comme on en a l'habitude -les combats de boxe dans Snatch par exemple - qui interviennent plusieurs fois dans le récit jusqu'au crescendo et l'explosion finale ; or dans The Gentlemen, on finit complètement blasé de sentir la tension monter un peu, la situation monter en épingle, de se raidir un peu dans son siège... pour retrouver d'un cut brutal le temps présent du récit, purement déclaratif, avec un jeu de mot graveleux de Hugh Grant pour toute transition.


L'absence remarquable, et choquante, de bande originale, comparée à la place qui lui est normalement accordée dans la filmographie de Ritchie, contribue fortement à la platitude de l'encéphalogramme : à quasiment aucun moment la musique ne vient porter et sublimer les images.


En fait, à force d'être à tout prix des gentlemen, les protagonistes bien fringué passent la plupart de leur temps à dérouler leur texte et à échanger de manière hyper-posée et l'air plutôt blasé. Ils ont la classe, mais ils ont aussi l'air de s'en foutre. Il en résulte une pesanteur très terre-à-terre qui garde le spectateur au sol, le film ne décolle jamais.


Preuve en est donné avec le twist final : dans l'univers ritchien, il vient usuellement résoudre en un concentré d'adrénaline et de violence tous les fils narratifs déployés par le réalisateur pendant le film - un peu comme chez Tarantino également. L'apogée de cette technique a été atteinte avec la scène finale d'Arnaques, Crimes & Botanique où les trois différentes bandes se retrouvent au même endroit pour se mitrailler la gueule à mort allègrement. Ici, ce twist final est d'une grande platitude.


Le héros Mickey Pearson était finalement au courant de tout ce que le journaliste lui racontait : il avait donc prévu de punir le traître, et d'une sale manière puisqu'en plus de 270 millions de livres sterling, celui-ci est condamné à lui donner 500 gr de sa propre chair. C'est dit, mais on le voit pas ! Il n'y a donc pas la jouissance de la vengeance méritée. Mais en fait, les Russes -encore eux- surveillaient tout le monde et s'apprêtent à tous les éliminer. Heureusement, les petits jeunes du Coach interviennent selon la logique du Deus ex machina pour sauver la mise, même si on se demande toujours pourquoi ils se sont donnés tant de mal pour voler la weed d'un type, la lui rendre, et ensuite lui rendre service sur service jusqu'à lui sauver la vie, passant allègrement des gants de boxe au fusil d'assaut lourd.


Peut être le dernier plan résume l'état d'esprit de Guy Ritchie sur ce dernier film :


le journaliste est finalement retrouvé par le bras droit alors qu'il tente de vendre toute l'histoire à des studios de cinéma. La femme de Mickey en avertit ce dernier, engoncé une fois de plus dans son canapé de vielle mode anglaise, le cigare à la main. Au lieu de se précipiter ou de demander à son bras droit de faire disparaître l'inopportun, il demande à sa femme "tu veux le faire?". Celle-ci ferme la porte et coupe ainsi la caméra. Plus tôt dans le film, elle avait refusé de le faire - l'amour- parce qu'elle avait du travail dans son garage.


C'est comme si Mickey Pearson était en fait Guy Ritchie : considérant que le gros du travail est fait, il peut se reposer et se laisser aller sans se soucier des détails - il est un gentleman après tout, ceux qui n'ont pas à travailler s'ils n'en n'ont pas l'envie.
Et bien Guy Ritchie s'est peut-être considéré de la sorte, avec un film auquel il applique bien sa recette, avec quelques bonnes idées
-


le partenariat entre Mickey et les Lords désargentés mais possédant encore de grands domaines pour faire pousser de la weed


, quelques saillies drôles (et racistes) - le chinois Phuuc qu'on prononce "Fuck", évidemment - mais qui manque singulièrement de la finesse qui fait des films précédents des films géniallissimes.

ThomasF__Veron
5
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le 23 févr. 2020

Critique lue 339 fois

Thomas F. Veron

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