Il s'agit d'une série policière-thriller-fantastique inventive et percutante. "Moloch" est le nom donné à un meurtrier au mode opératoire singulier et inexplicable : la "combustion humaine spontanée". Ses victimes, sans qu'aucun contact préalable avec un élément inflammable soit avéré, s'enflamment de l'intérieur. La 1ère combustion spontanée est l'occasion de rappeler que celles-ci parsèment l'histoire, sans qu'elle n'ait jamais pu être expliqués autrement que par du surnaturel. Ainsi, on peut penser à ce moment que le ressort de la série sera de trouver une explication rationnelle à ce phénomène : ce n'est pas le cas. C'est le choix du fantastique, qui est intéressant. Car les scénarios plus communs partant d'un phénomène inexplicable pour attiser la curiosité du spectateur puis finalement accouchant d'une démonstration scientifiquement viable pour expliquer le surnaturel, ont plus souvent tendance à provoquer chez ce dernier une réaction du style "Méhhh, tout ça pour ça ", plutôt que "Wow j'aurais jamais deviné !". C'est normal, toutes les bonnes idées ont déjà été exploitées. On pense par exemple au Vidocq de Pitof où la combustion humaine spontanée est expliquée par la dissimulation d'objets métalliques dans les habits des victimes qui viennent ensuite attirer la foudre.
L'enquête est bien menée et le scénario bien gradué : pendant les deux premiers épisodes, les soupçons ne se portent d'abord sur personne en particulier ; puis durant les deux suivants sur l'un des deux personnages principaux, le "gentil psychologue" ; puis pour l'avant-dernier les indices de la véritable identité de Moloch convergent, avant que celle-ci ne soit révélée durant le dernier épisode.
Le plus intéressant dans cette série reste son propos, assez récurrent ces derniers temps : celui des vigilante. En réalité, ces personnages ne sont pas intrinsèquement des héros ou des anti-héros : c'est bien le spectateur qui détermine à quelle catégorie il appartiennent, et, il faut l'avouer, en résonnance avec ses convictions personnelles, touchant profondément à la conception de chacun de la justice. Le film Watchmen - et plus récemment la série- représentent l'apogée de ce questionnement, notamment à travers le personnage de Rorsach. En général, les visionneurs de Watchmen sont séparés en deux camps à son propos, entre ceux qui désapprouvent sa méthode de justice violente et expéditive, parfois meurtrière ; et ceux qui estime que répondre au mal par la mal est une bonne façon de faire justice.
Moloch fait justice soi-même, punit par l'immolation ceux qu'ils considèrent comme coupables. Et chacun, personnages de la série comme spectateur, se positionnent moralement et émotionnellement par rapport à cette approche de la justice, avec une possible évolution de ce positionnement au fur et à mesure des épisodes.
Le personnage de l'évangéliste approuve l'action de Moloch lorsque celle-ci consiste à éliminer la racaille qui squatte son pas d'entrée en permanence et fait régner la terreur dans la cité, battant par ailleurs quotidiennement l'homme chez qui il squatte. En effet, cette mise à mort le libère d'une existence "pourrie" par l'existence de cet homme, une vie invivable, au point qu'il en devient cliniquement fou. Il soutiendra le bien-fondé de la démarche de Moloch quasiment jusqu'au bout, jusqu'au dernier épisode. Le spectateur est amené à se positionner également lorsqu'on découvre que la deuxième personne immolée, une femme, battait en fait son enfant. Le personnage du psychologue lui-même dépassera son impassibilité et sa réserve consubstantielles à son métier pour menacer le père de l'enfant si celui venait à ne pas protéger son fils. Les anarchistes qui donnent son nom à Moloch le soutienne également, au nom de ce qu'il perçoive comme un combat politique contre l'ennemi bourgeois traditionnel, justifiant ainsi l'action violente, conformément à leur idéologie politique. Il en va ainsi jusqu'au meurtre qui semble objectivement plus discutable, de par un trait de caractère : la jeunesse de la victime. Alex, 16 ans, séduit des jeunes adolescentes, les convainc de lui faire une fellation la nuit au skatepark, puis montre et diffuse les vidéos alors prises a leur insu. Pour avoir fait subir cela à la sœur de Moloch, il périra par les flammes.
Ici, le spectateur, tout comme l'opinion public dans la série, se désolidarise totalement de Moloch. En effet, les malversations de ce jeune ne semblent pas suffisantes pour mériter la mort. De plus, on peut estimer que sa jeunesse devrait lui faire bénéficier d'un plus grand droit à l'erreur. Du moins nos systèmes judicaires occidentaux sont-ils basés sur cette approche avec par exemple en France une justice spécifique et plus laxiste pour les mineurs. C'est pourtant bien le raisonnement inverse qu'applique
Stella-
Moloch : touchée dans son intimité, l'objectivité revendiquée de sa démarche punitive ne s'applique plus :
il immole le jeune homme sans la mise en garde préalable faite à toutes les autres victimes, mise en garde qui offre aux accusés une porte de sortie et de rédemption, en leur laissant la possibilité d'arrêter de commettre leurs "crimes". Par la suite, Moloch est hors de contrôle et mène désormais une vendetta personnelle contre Louise qui l'a trahi en appelant la police. Celle-ci l'amènera à bruler un authentique innocent et même "bonne personne", le journaliste Franck.
Mais cette perte de sens n'implique pas la destruction par le chaos du meurtrier. Tout homme a droit au pardon, contrairement à ce que pense Moloch. Accompagné par la force de caractère du psychologue, il est offert également à Stella-Moloch une chance de rédemption, de désintégration purificatrice, d'expiation de ses crimes.
Atteinte d'une maladie l'empêchant de s'exposer au soleil sous peine de mort, elle lâche la main du psychologue et finira par disparaître dans la mer sous un lever de soleil, une rêve qu'elle caresse depuis toujours, fusionnant avec les éléments feu et eau.
. (Cela peut rappeler aussi la fin de Rorschach, désintégré par le feu nucléaire du Dr Manhattan en pleine toundra arctique).
On retiendra ainsi que sans lumière - sans amour-, on s'aigrit. Tout come le personnage de Louise, si revêche, manipulatrice et egocentrée au début de la série, qui finit par exprimer de réels sentiments d'amitié et d'amour à l'issue de celle-ci, après avoir rencontrés et côtoyés des personnages "bons" et dignes de valeur.