Viens t'amuser avec les régimes politiques avec le livre: "La Dystopie pour les Nuls"
Par OhCaptainMyCaptain.
The Giver. Si vous me suivez régulièrement, le genre utopiques et dystopiques est ce que je préfère, tout support confondu. Bien entendu, ce film s'inscrivait donc obligatoirement sur mon cahier des charges de l'année. Mais surtout, le livre dont il a été adapté, Le Passeur, a marqué ma jeunesse, puisque c'est celui qui m'a fait découvrir ce genre de l'anticipation. Sorti en 1993, ma grand mère me l'avait offert plus tard pour mes huit ans, et je l'avais longtemps laissé dans un coin il est vrai, concurrencé à l'époque par un jeune binoclard avec une cicatrice, bizarrement. Quand il est sorti, il avait pour but de faire découvrir le genre aux jeunes, plus accessible que les chefs d’œuvre 1984 ou Le Meilleur des Mondes par exemple. Après lecture et avec mon expérience acquise sur le genre pendant mon adolescence, non, il n'était pas beaucoup plus accessible, mais sûrement plus ancré dans notre époque des années 90 que les derniers cités. Rien à voir donc avec la littérature pour ados Divergente, Labyrinthe et autre Hunger Games sortis quinze ans plus tard. D'ailleurs ceux-ci s'en sont largement inspirés, donc s'il vous plaît, ne criez pas au plagiat dans ce sens sous prétexte qu'il a été adapté au cinéma plus tard que les autres. Le livre s'était inscrit dans la vague des années 90, où l'on donnait accès aux enfants à des choses pas forcément adapté à leur âge. Cela fait vingt ans que Jeff Bridge voulait l'adapter , il a enfin réussi, grâce au lobbying des fans, avec le rendu noir et blanc.
Alors, le film a-t-il été fidèle au livre ou a-t-il honteusement pompé la recette des sagas pour adolescents très populaires (bien que, je dois l'avouer, Hunger Games 2 avait mieux réussi sa tâche que les autres concurrents) en ce moment? Dans tous les cas, la bande annonce n'était que peu rassurante...
Dans une société dystopique, les émotions fortes ont été supprimées grâce à l'effacement de toute trace d'histoire. Tous les individus sont formatés pour se comporter de façon préétablie, dans le but de coexister pacifiquement et pour le Bien Commun. Le dépositaire de la mémoire (Jeff Bridge) est la seule personne qui peut se souvenir du passé et ressentir la vie, en cas de problème. Dans la cérémonie de l'attribution des rôles sociaux pour les jeunes adultes, Jonas (Brenton Thwaites) est choisi pour être le nouveau dépositaire, l'ancien devenant le Passeur.
Jusqu'ici, tout va bien, dirait Matthieu Kassovitz. L'histoire reste plutôt bien adaptée, aucune digression fortuite n'a été apportée par rapport au livre, ce qui est plutôt une bonne chose. C'est donc l'évolution de notre petit Jonas qui sera suivi, tant dans sa place dans la société qu'en tant que nouvelle personne, son adolescence. Parmi les bons points, aucun triangle amoureux n'est mis en place (vous me direz, vu qu'on enlève les émotions, ça devient logique), enfin, depuis Twilight et Hunger Games, on avait l'impression que tous les adolescents faisaient leur découverte sentimentale par trois, ca devenait inquiétant !
Et ce qui a été le plus réussi, c'est bien sûr l'aspect visuel ! Quel parti pris de filmer les trois quarts du film en noir et blanc ! Il reprend ici une technique de tournage aperçu dans quelques scènes sur la Liste De Schinler, de Steven Spielberg, ici étendu à tout le film, c'est à dire un quasi noir et blanc (pas tout à fait non plus), avec des effets de texture très belles, un flou visuel dans le mouvement... Vraiment magnifique. On reste marqué par une scène de levée de soleil, c'est dire l'exploit ! L'ensemble du rendu est très beau, presque poétique, ce qui est très important dans la portée du message du film. Il y a donc une recherche visuelle certaine qui le démarque des autres films du genre. Le fait que Jonas découvre petit à petit les couleurs rend ces effets d'autant plus beaux. Et cette prise en compte est vraiment progressive, c'est plutôt bien réalisé, permettant de se prendre au jeu. D'autant plus que ce n'est pas de la pleine couleur non plus, proche du sépia. Un peu comme si on restait dans le noir longtemps et qu'on retourne au soleil brusquement, les couleurs ne sont pas pleines, ce qui colle parfaitement avec la situation de Jonas . Je pense notamment à une scène où il découvre petit à petit le « vrai » visage de son amie d'enfance, Fiona (Odeya Rush). C'est vraiment cliché mais c'est tellement bien réalisé et d'ailleurs très réaliste de l'adolescence. On (re)découvre avec lui chaque partie de son visage, ses cheveux, ses yeux, ses lèvres, le tout bien étalé sur le film, ce qui permet de voir, comme lui, que Fiona est plutôt une jolie fille de son âge. Nous les plus vieux, on retombe avec nostalgie dans cette époque.
Bon par contre, tout en restant dans l'effet visuel, y a des éléments vraiment pas admissibles en 2014. Je pense au design des motos qui se veut futuriste, mais on se croit au mieux dans Alien, au pire dans Equilibrium. Et certains effets spéciaux sont vraiment de la bouillasse. Je peux comprendre que le budget ne soit pas conséquent mais y a des limites. Il y a des scènes vraiment dispensables dont le rendu n'est pas beau à cause des fonds verts et du numérique, on aurait pu s'en passer (vous me direz l'avis général porte aux nues Le Hobbit qui fait la même chose, donc bon...). La musique est de même très oubliable, et c'est le cas de le dire. Tellement qu'il ne serait même pas possible de l'analyser après coup.
Concernant l'aspect réflexion au sens stricte, c'est là où tout le film perd de son intérêt . Un comble quand on sait l'objectif qu'avait le livre . Alors oui, l'univers a été respecté dans son ensemble, on donne au spectateur quelques éléments de la société par ci par là. Mais il y a clairement un problème d'écriture. Le film passe beaucoup trop rapidement sur certains aspects. Je n'étais pas personnellement perdu connaissant le livre, mais il y a tellement d'éléments non expliqués dans le film qu'un spectateur non averti ne peut comprendre aussi bien dans le développement que dans la portée. Et cela va du plus simple (l'arrivée d'un nouveau dans une cellule familiale, portant atteinte au scénario) au plus poussé (qui sont les grands Sages ? Que font-ils?). Alors oui y a un certain approfondissement non simpliste qui le démarque des autres films (y a parfois de la vraie violence symbolique qui dépasse les tabous du cinéma en général) mais c'est clairement pas suffisant pour avoir une base solide à une réflexion. C'est moins manichéen qu' Hunger Games 1 mais c'est pas encore suffisant, notamment dans les dialogues. Aucune nuance sur le système mis en place, aucun argument pour le défendre. Dans le Meilleur des Mondes d' Huxley, il y a des éléments en faveur de ce genre de régime autoritaire. Et que dire de cette fin qui est beaucoup trop simpliste... Dire que le livre nous offrait quelque chose de beaucoup plus ouvert... Il en va de même dans les techniques de réalisation hors rendu visuel. L'apparition des émotions à la même vitesse que les couleurs aurait pu (du?) amener à beaucoup plus d'application symbolique dans les méthodes de prises de vues.
Concernant la performance des acteurs, Brendon Thwaites tient plutôt bien son rôle de Jonas, sans fioriture. Bon il surjoue quelque peu certains passages, mais il est jeune, il apprendra. Jeff Bridge tient à merveille son rôle du Passeur. Lui qui voulait il y a vingt ans tenir le rôle de Jonas a finalement bien fait de patienter pour monter le film. Sa voix profonde et rocailleuse, comme s'il sortait d'une caverne, colle parfaitement avec le rôle du Passeur, preuve qu'il supporte depuis trop longtemps les émotions seul. Pour les autres acteurs, les prestations sont difficiles à juger, la barrière des émotions faisant que les visages et les paroles restent impassibles.
Katie Holmes joue très bien la « mère » garante de la Justice et du système, mais il manque un petit quelque chose par rapport à ce qu'elle peut livrer d'habitude. Petite critique pour le rôle de Asher, le meilleur ami de Jonas, joué par Cameron Monaghan. Et pas tant dans le jeu puisqu'il est quasi inexistant mais dans l'écriture justement. Il a complètement été oublié dans le scénario, ce qui enlève tout un pan émotionnel du scénario. Mais comme le réalisateur a visiblement choisi de favoriser le lien avec Fiona, bizarrement... D'ailleurs rien à redire sur la prestation d' Odeya Rush, elle tient son rôle sobrement, bien qu'elle passe un peu dans le cliché de temps en temps, surtout dans l'écriture (la fille qui se brosse les cheveux à la fenêtre, et comme par hasard son voisin la regarde amoureusement, sérieusement?).Pour Meryl Streep, grand nom à l'affiche, sa prestation est vraiment accessoire, l'écriture de son rôle étant proche du néant, un comble pour une Sage dirigeante... Au delà de ça, elle ne fait même pas preuve d'une once d'ambiguité dans son interprétation du rôle. Quant à la présence de Taylor Swift au casting... Elle ne joue pas magnifiquement bien, n'a que peu de valeur ajoutée... Pourquoi payer un salaire manifestement élevé pour une « star » pareille, alors qu'une jeune actrice inconnue aurait probablement fait mieux ? Pour mettre son nom sur l'affiche, je suppose, attirant le jeune public...
Donc encore une fois on se retrouve avec une histoire sur fond dystopique qui se concentre tellement plus sur son héros adolescent, son apprentissage de la vie et de l'amour, qu'on fait abstraction totale du fait qu'il vit dans un monde dystopique, sauf quand cela sert dans la quête du scénario. « Ouah les contraintes sociales sont trop dures, je veux vivre ma vie de jeune librement, vive l'anarchie et la débauche » grossièrement. Il n'y a que trop peu de profondeur dans ce type de film, aucune écriture sur le background, à l'instar de Divergente, Labyrinthe, et dans une moindre mesure Hunger Games (comme je l'ai dit, moins le deuxième opus qui fait mieux son travail et qui offre plusieurs solutions et pas que le « on fait tout péter » habituel). Je suis vraiment désolé pour les fans de ces licences, les histoires sont sûrement très bonnes et prenantes en terme de scénario pur, ce n'est pas la question ici (peut être d'ailleurs que les livres offrent une vision plus poussée du système) . Mais le type de la dystopie ne doit JAMAIS être pris à la légère et doit porter un discours, aussi bien politique, sociologique ou philosophique fort, et pas seulement sur la psychologie d'un adolescent-jeune adulte. The Island de Michael Bay nous a montré qu'on pouvait faire un film tout public sans trop négliger le coté réflexion . Le genre ne doit pas tomber dans un extrait de Twilight appliqué dans une utopie. Dans ce film The Giver, il y a déjà du mieux, mais c'est pas encore ça, puisqu'on ne sait finalement pas grand chose sur le pourquoi l'Homme en est arrivé là, aucune critique de fond sur le système ne ressort, hormis le primaire : « ouah, c'est une dictature, c'est trop nul, c'est le mal ! », à quelques exceptions près. Alors même que dans le livre cette hypothèse se retrouve à quasiment chaque chapitre. Le film ne dure qu'une heure et demi (c'est quasi un comble aujourd'hui, vraiment, même si le livre n'est pas très épais), vingt à trente minutes de plus n'aurait pas été de trop ni exagérés pour exploiter un peu plus le problème de fond, la hiérarchie sociale, l'ordre politique..
Un film plutôt agréable, mais qui aurait du sortir beaucoup plus tôt pour éviter d'être influencé négativement par les autres films du genre. Il manque toute une partie réflexion non négligeable car nécessaire à ce type de message, et d'un peu plus de richesse dans les techniques de découverte des émotions. Petite déception donc, mais pour qui veut découvrir le genre dystopique sans trop se prendre la tête, ou débuter sans trop d'obstacles, il reste plus fourni que ses concurrents.