Le film est adapté du livre « Aadujeevithamdu » ou The Goat Life en anglais, écrit par Benyamin et inspiré de faits réels.
Najeeb, ouvrier pauvre originaire du Kerala, part avec son frère en Arabie Saoudite. Son but est de gagner un salaire conséquent sur une période courte. Il laisse derrière lui sa mère et sa femme enceinte de leur premier enfant.
À cause d'un imbroglio à l'aéroport et de leur non connaissance de la langue, les deux frères se retrouvent embrigadés par un homme taciturne et fruste qu'ils pensent être leur sponsor. Après un long trajet nocturne, les deux hommes sont séparés de force. Najeeb se retrouvera ensuite chevrier contre son gré au milieu du désert, privé de tout moyen d'évasion et de communication.
Dans ce film de 2h50, Najeeb quitte sa région natale et la rivière qui jouxtait sa maison pour l'Arabie Saoudite. L'opposition entre le Kerala verdoyant et le désert aride trouve un parallèle dans la différence des tempéraments de Najeeb, un ingénu débordant de bons sentiments, face à un impitoyable Kafeel au cœur sec.
Le désert occupe une place omniprésente dans la photographie. Ses dunes, ses mirages et ses dangers font de cette étendue de sable un antagoniste à part entière, tout comme Kafeel.
La mise en scène ne lésine pas sur le symbolisme, notamment religieux. Le premier symbole sera l'opposition entre le bien et le mal (l'innocent naïf violenté par l'oppresseur hypocrite qui commet des injustices, tout en mentionnant Dieu de façon irréfléchie).
Vient ensuite la traversée du désert, commune aux 3 religions Abrahamiques (l'Exode, Jésus et les 40 jours, la Hjira).
Nous pouvons également souligner l'intervention de l'Ange Gardien en la personne d'Ibrahim, remplacé peu après par le conducteur de la Rolls Royce avec le Spirit of Ecstasy mis en évidence.
Là où le film échoue, à mon sens, c'est dans ses choix de mise en scène. Blessy Ipe Thomas a voulu faire de ce film une allégorie truffée de références trop religieuses, quitte à sacrifier la cohérence.
L'erreur des frères à l'aéroport est d'une idiotie intolérable. Non, à 2, il n'est pas normal de se laisser embarquer par un inconnu sans poser la moindre question. Dès le début l'interaction paraît étrange, car les indiens se laissent totalement faire. Kafeel subtilise leurs papiers, ils ne se débattent pas lorsqu'ils sont séparés... Najeeb résiste à peine lorsque son patron le frappe.
Et cela va en empirant :
Lors de la scène des retrouvailles des frères, Hakim repart vers son bourreau avec un « Je te dis à bientôt mon frère, car si je m'absente trop longtemps mon patron ne va pas être content. Mais on se revoit vite, on se fait une bouffe à l'occas' »
L'épave de la cohérence touche le fond lorsque Najeeb part du camp pour s'évader en laissant derrière lui ses chaussures. Il part sans réserve d'eau, ni foulard sur la tête. Il laisse derrière lui plusieurs dromadaires qui auraient pu servir de montures aux trois hommes. Aucune vengeance personnelle envers son bourreau, ne serait-ce qu'endommager sa tente... Pourquoi ? Car il est pur ?
Les chaussures... Pourquoi cette volonté de martyriser autant les pieds des personnages ? Najeeb laisse ses chaussures au campement, il ne prend pas celles de son frère mort, ce sera finalement Ibrahim qui lui lèguera ses propres chaussures. Son bienfaiteur aura définitivement été usé jusqu'à la corde.
Notons d'ailleurs la tempête de sable qui arrivera à point nommé pour accorder une sépulture à Hakim et épargner ainsi l'effort à Najeeb et Ibrahim de creuser sa tombe.
Najeeb ne cesse de cumuler les agissements contre-intuitifs. Son comportement va à l'encontre de toute notion de survie, ce qui finit par épuiser l'empathie du spectateur. Son frère Hakim est d'ailleurs exaspérant dès le début du film. La bonne prestation des acteurs Prithviraj Sukumaran et Talib Al Balushi servent bien l'allégorie voulue par la réalisation, mais il était possible de leur conférer des agissements moins manichéens tout en servant ce propos.
Najeeb n'a rien gagné de cette expérience, à part son expertise de tirage de lait. Il aura perdu 30 000 roupies, il aura délaissé sa femme et sa mère sans assister à la naissance de son enfant, il reviendra avec le visage brûlé et 30 kilos en moins, traumatisé à vie, fauché comme les blés. La figure du martyr est grossière au point de nous ôter toute compassion.
Sa mère, son frère, sa femme, son enfant pleurant au téléphone, tout ces personnages ne servent qu'à faire valoir la dramaturgie. Le stéréotype de l'indien gentil à l'extrême atteint ici des sommets. À titre personnel, j'en suis venu à préférer l'interprétation d'une fuite de la paternité.
Il n'était pas nécessaire de polariser autant les personnages pour dénoncer une injustice de notre époque.
En effet, le droit du travail dans les pays du Golfe est un sujet d'actualité, qui a été abordé à plusieurs reprises dans la presse internationale. Les organismes tels qu'Amnesty International ont dénoncé ces abus avec véhémence.
Par exemple, on estime plusieurs milliers de morts d'ouvriers indiens, bangladeshi ou népalais sur les chantiers des stades de la coupe du monde 2022 :
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/11/14/qatar-2022-pourquoi-il-est-tres-difficile-d-estimer-le-nombre-de-morts-lies-aux-chantiers-de-la-coupe-du-monde_6149784_4355770.html
Pour dénoncer cette réalité révoltante, le film se perd dans un symbolisme religieux excessif. Au final, cela dessert le film. Une œuvre plus directe, à la limite du documentaire, aurait tout autant d'influence sur le spectateur, et la portée universelle de son message s'en verrait élargie.