Surprise quand même que cet extraordinaire "Grand Budapest Hotel", véritable rupture dans l'oeuvre de Wes Anderson derrière son apparence d'aboutissement stylistique : en abandonnant son terrain thématique habituel (la famille, le père perdu et retrouvé, etc.) et en délaissant ici toute illusion de réalité, Anderson va dans la direction opposée de ce que son "Moonrise Kingdom" pouvait laisser entendre, et paradoxalement, réalise son chef d'oeuvre à date. Complètement conceptuel, puisqu'il s'agit ni plus ni moins que de transposer la thématique "Zweiguienne" (l'évanouissement de la grande civilisation européenne dans la barbarie du fascisme) dans un univers très BD (on pense tour à tour à Tintin et aux Pieds Nickelés) - figuré brillamment par cette image carrée que les personnages traversent ou dans laquelle ils s'agitent -, mais également merveilleusement sucré (la métaphore délicieuse des gâteaux que l'on s'offre, même entre ennemis), "The Grand Budapest Hotel" nous entraîne sur un manège emballé d'images géniales, aussi raffinées que puissamment évocatrices. Le Grand Art de Wes Anderson est de ne jamais nous perdre, en dépit de l'enchassement des époques, de la frénésie de la narration-course poursuite haletante, et de réussir à nous faire pousser des cris d'admiration enfantins à chaque plan : quand, au final, la mélancolie envahit le film, nous nous retrouvons aussi émus qu'émerveillés devant la puissance inattendue de ce cinéma pourtant tellement singulier. [Critique écrite en 2014]