Une année s’est écoulée. Intacts sont restés les souvenirs. Chaque pas, chaque déhanché, chaque mélodie, chaque envolée, tout nous ramène à une seule et enchanteresse danse étoilée : La La Land, et sa mélopée de sentiments. Une apparition, une révélation. Depuis l’empreinte indélébile laissée par cette pluie d’onirisme appelée Cinéma, d’une escapade autoroutière au medley des rêves déchus, l’émerveillement a modernisé sa définition. Enfin presque.
Car The Greatest Showman se voudrait poursuivre cette dynamique passionnée en exploitant au possible une pensée de P.T. Barnum : « The noblest art is that of making others happy ». Une pensée inspirée et inspirante pour un Homme maniant le raffinement des mots comme personne : « There's a sucker born every minute ». Peut-être. Car qu’est-ce que le divertissement si ce n’est un monde où les bonimenteurs et les crédules sont rois. Puisque The Greatest Showman, sous la grandiloquence de ses numéros et l’apparente bonté de ses personnages, n’est qu’un chapiteau vide, où la toile serait plus forte que l’esprit. Une ambivalence du discours, comme une réalité se nourrissant des apparences sous le voile de la duperie. Pour un moment, pour un frisson, pour un sourire, pour une œuvre virevoltante au rythme d’un vide en-chanté…
Et pourtant, The Greatest Showman semble triompher dans la mécanique de l’illusion. Car toute sa construction, de ses tenants et aboutissants, repose sur le plaisir de divertir. Devenir en définitive la représentation du dogme Barnum, en faisant d’un rapace déguisé une comédie musicale à la gloire de l’enchantement. Car croire que P.T. Barnum n’était qu’un ambitieux rêveur en quête d’imaginaire et de spectaculaire, ce serait croire en une illusion. Naïveté ? Non, plutôt quelque chose à assumer totalement pour pouvoir corriger le réel sous les artifices de la fiction. Comme pour nous donner de nouvelles couleurs à voir, dans un faux-semblant de satisfaction et d’espoir. En sortir les lèvres fredonnantes, la jouissance dans le regard et l’allégresse dans un sourire. Choisir l’évasion par le chiqué plutôt que le sérieux de la réalité.
Puisque nous aimons nous faire manipuler par nos fantasmes, être entraîné dans un rêve où notre regard d’enfant pourrait pleinement s’épanouir. Mais dans cette démarche de grandeur, Michael Gracey s’empare de l’extraordinaire pour n’en rendre qu’un aperçu aussi vague qu’envoutant. Édulcorer l’histoire quitte à l’affadir : toute simplification de ses enjeux ne devient qu’un fardeau à l’exubérance. Aucune trace – si ce n’est celles suggérées avec plus ou moins de retenue, décence et timidité – des contrastes et des remises en question de Barnum et de ses activités. Là où la noirceur et l’opportunisme du personnage auraient pu donner davantage d’ampleur au récit, tout se déroule selon le code de la bienséance, entre kitscherie émotionnelle et procédés narratifs en vigueur sur Disney Channel : de l’amourette d’enfance à celle de la scène, de la misère sociale aux classes impérieuses, du spectacle à ses artificiels secrets, le conte se fait alors prévisible, sans véritables Freaks, sans charlatan, et sans magie à contempler.
Et au final, faire du superficiel une barrière à l’émerveillement. Un bluff total mais dénué de sentiments. Le manque de caractérisation de certains personnages – voire leur sous-exploitation (Michelle Williams et Rebecca Ferguson fleurissent le décor) – et la complaisance de l’auteur dans la superficialité des apparences en font une œuvre désespérément vide. Croire en l’impossible, en ses rêves, en l’acceptation des différences et en la force de l’union : des thématiques usées, potentiellement intéressantes si seulement elles étaient exploitées avec la bienveillance des cinéastes humanistes pour une Vie plus Belle et de vieilles dentelles. Puisqu’ici, les dilemmes semblent se jouer autour de leur propre absence. A la différence de La La Land, le choix ne semble pas s’imposer: l’amour et le rêve, ensemble, contre la morosité des lendemains qui chantent.
Et si The Greatest Showman se nourrit d’un sens du spectacle d’un autre temps et de son académisme contemporain, c’est avant tout parce qu’il ne sait pas ce qu’il veut. Un décalage faisant de cette œuvre généreuse (ou pas ?) une revisite de l’essence « luhrmannienne » de la comédie musicale. L’ouverture témoigne de ce désaccord : deux logos, l’un rétro, l’autre actuel. Et définitivement un de trop. Un accroc entre deux conceptions d’un même genre, conduisant à la déficience de son ensemble. Car il faut dire que les compositions, d’une plaisante banalité dans le paysage musical contemporain (correcteur de tonalité à l’appui), interpellent par leur rupture avec ce qu’ils enveloppent. Tout comme cette réalisation, manquant de panache et d’inventivité pour pouvoir transformer l’énergie de ses numéros en une fresque époustouflante : des chorégraphies virevoltantes noyées dans un Ice Tea de visuels toxiques et d’effets spéciaux inutiles (sûrement pour Michael Gracey un moyen d’exposer une certaine expérience). Pourtant, entre une nouvelle façon de déguster un verre de Whisky et la puissance électrisante d’un This is Me, The Greatest Showman avait l’acabit et le nécessaire pour toucher le sublime de sa démesure.
Reste à savoir si The Greatest Showman aurait gagné à s’abandonner à la nostalgie ou à s’émanciper vers la modernité ? Quoiqu’il en soit, il reste un film de son temps, comme Barnum avait pu l’être à un moment. Et s’il ne sombre pas dans le désintérêt le plus total, c’est probablement grâce à l’énergie, le dynamisme et le charme sans égal d’Hugh Jackman, véritable showman dans l’âme, rentrant ses griffes de mâle pour s’élancer sur la piste du bal. Donnant son maximum pour satisfaire son public du sens de l’émerveillement, il offre son charisme au service du spectacle, et se lâche pour l’amour du jeu. Du cœur, de la voix, et un cirque d’émoi : un entertainer est né. Make 'em laugh ?
The Greatest Showman est à la comédie musicale ce que Chuck Norris est à la culture populaire : une œuvre de seconde zone, inégale, mais nourrissant l’imaginaire collectif de son entrain et de son enthousiasme légendaire. Un plaisir (coupable ?) s’apparentant davantage au « feu d’artifice » final de Madagascar 3 qu’à l’enivrante mélancolie de La La Land. Souffrant de son rythme précipité et de sa normalité à regret, il n’en reste pas moins un morceau séduisant, où les frissons de la mélodie se mêlent à l’admiration de sa prodigieuse étoile. Car le cinéma est peut être aussi, malgré ses imperfections, un vecteur d’émerveillement et de bonheur universel. Et The Greatest Showman se veut en cultiver le message, comme pour immortaliser l’image d’un sourire d’enfant face à la musique de l’éblouissement.
A million dreams is all it's gonna take
Critique à lire également sur Le Blog du Cinéma