Camp X-Ray de Peter Sattler, derrière son décor austère et sa sobriété narrative, est bien plus qu’un drame sur Guantánamo. C’est une plongée déchirante dans l’isolement, la résilience, et les liens improbables qui émergent dans les interstices de la souffrance. Minimaliste et confiné, le film agit comme un huis clos, où l’on ressent, minute après minute, le poids d’une solitude omniprésente.
Dès le premier cadre, le spectateur est happé dans un univers oppressant : des cellules minuscules, des corridors étroits, et une lumière froide, presque clinique. Cet environnement reflète l’état psychologique des personnages. Amy Cole (Kristen Stewart), jeune recrue pleine de certitudes patriotiques, se retrouve rapidement engluée dans une routine aliénante, où l’humanité disparaît sous les protocoles rigides et les regards suspicieux. Mais ce n’est pas seulement la vie des prisonniers qui est étouffante. Les gardiens, pourtant libres en théorie, sont eux aussi emprisonnés : par des règles absurdes, une déshumanisation institutionnelle, et un environnement où chaque interaction devient un combat pour conserver un semblant d’identité.
C’est dans cette tension que naît le cœur du film : la relation entre Amy et Ali (Peyman Maadi), un détenu dont l’accusation de terrorisme ne sert finalement que de toile de fond. Peu importe ses actes passés ou son innocence, car ici, il est avant tout un homme brisé, enfermé depuis huit ans dans un espace qui ne tolère ni nuance ni humanité. Leur relation est construite lentement, à travers des échanges aussi poignants que banals, mais jamais inutiles. De discussions sur Harry Potter à des confrontations pleines de douleur et de vérité, chaque mot entre eux est une tentative de briser la glace, d’échapper à l’absurdité de leur condition.
Ce lien devient encore plus frappant lorsque la caméra choisit d’"absenter" un des protagonistes. Quand Ali disparaît du cadre, sa cellule vide semble aspirer tout l’air, et nous partageons la sensation d’abandon qui étreint Amy. À d’autres moments, c’est elle qui se retrouve isolée, seule face à son humanité vacillante dans un environnement de soldats grégaires, motivés par une brutalité presque institutionnalisée. Ces gardes, prisonniers eux-mêmes de leur amalgame et de leurs stigmatisations, deviennent des figures anonymes de violence, incapables de percevoir l’individu derrière "l’ennemi".
Et pourtant, Camp X-Ray ne cède pas à la facilité du manichéisme. Les détenus ne sont pas idéalisés ; Ali lui-même, bien que captivant et humain, est complexe, parfois difficile à cerner. De même, Amy n’est pas une héroïne pleine de certitudes ou un parangon de vertus. Elle est jeune, vulnérable, dépassée par la brutalité du monde qu’elle découvre, mais suffisamment courageuse pour affronter ses propres préjugés. Kristen Stewart, avec sa beauté singulière et sa retenue, livre ici une performance bouleversante, où chaque regard, chaque hésitation trahit une lutte intérieure. Face à elle, Peyman Maadi est tout aussi impressionnant, mêlant intensité et subtilité pour incarner un homme à la fois digne et brisé.
La mise en scène, discrète mais efficace, renforce cette sensation d’enfermement. Les cadrages serrés, les plans longs, et les champs/contre-champs travaillés traduisent à merveille la claustrophobie physique et psychologique des personnages. La porte qui sépare Amy et Ali dans leurs premiers échanges devient floue au fil du film, un symbole visuel de leur rapprochement. Dans leur dernier échange, cette porte disparaît presque, laissant place à une intimité déchirante et une compréhension mutuelle qui transcendent leurs rôles de gardienne et de prisonnier.
Mais si Camp X-Ray brille par son humanité, il n’est pas sans failles. Les personnages secondaires sont souvent réduits à des clichés : le supérieur macho et lourd, le collègue bavard et superficiel, ou les autres prisonniers qui ne sont qu’une masse indistincte, hurlante et violente. Ces caricatures affaiblissent parfois le propos du film, lui retirant une partie de sa subtilité. De même, le scénario s’éparpille par moments dans des sous-intrigues inutiles, diluant l’intensité de la relation centrale.
Pourtant, ces défauts n’entament pas l’impact émotionnel du film. La scène où Ali menace de se suicider, où Amy, impuissante, doit le convaincre de vivre, est un sommet de tension et de douleur. Elle illustre parfaitement la puissance de cette œuvre : la capacité de toucher à l’essentiel, à ces vérités universelles sur la souffrance et l’espoir, même au sein d’un système conçu pour écraser toute trace d’humanité.
In fine, Camp X-Ray est une œuvre imparfaite, mais profondément émouvante et nécessaire. Elle ne propose pas de solutions, ne verse pas dans l’optimisme facile, mais offre une leçon de résilience et de survie. Plus qu’un simple drame sur Guantánamo, c’est une méditation sur ce qui nous rend humains, même dans les contextes les plus inhumains.