Découvert lors du festival de Deauville de 2014, Camp X Ray sort directement en DVD sous le titre The Guard, alors qu'il aurait mérité une existence en salles. Retour, donc, sur une énième procédure d'expiation des erreurs du gouvernement américain post 11 septembre.
Ce n'est ni le sujet, ni le fond de commerce de ce film qui suscite l'intérêt. Le scénario est même entendu, et attendu - la chronique d'une prison, jusqu'au rapprochement entre un gardien et un détenu. Ce rapprochement entre deux êtres que la culture et le statut social sépare est d'autant plus caricaturale que le jeu d'opposition/rapprochement que propose le film est absolument rudimentaire. Lors d'une séquence, en effet, les détenus prient, tandis que le montage alterné nous propose simultanément le rituel militaire du salut lors du hissage du drapeau américain. On l'aura compris, l'objectif critique du cinéaste est vite cerné, même si on le sait gré de le tenter par des techniques purement cinématographique.
Il y avait d'ailleurs tout à craindre de ce fond de commerce, surtout par la manière dont le cinéaste exploite les possibilités du montage. La première image du film est assez claire, l'attentat du 11 septembre 2001, raccordé immédiatement à la guerre en Irak. Comme un lien de cause à effet unique et direct. Cette simplification esthétique est toujours un danger, surtout pour des fins politiques - même si le réalisateur, lors de la présentation à Deauville, a affirmé faire un film apolitique.
Fort heureusement, le propos sert avant tout un discret exercice de style, qui s'offre le luxe d'éviter tout maniérisme. Le réalisateur, en effet, organise des espaces et y fait se déplacer des corps de manière quasi choregraphiée et répétitive, jusqu'à l'absurde, dans les meilleures scènes du film: le personnage de Kristen Stewart, de garde, tourne en rond dans le couloir afin de vérifier une par une toutes les cellules, toutes les trois minutes. Jusqu'à ce que le détenu Ali ne viennent enrayer la machine infernale, donnant un nouveau sens au terme "interaction", particulièrement adapté à l'étude de la guerre en Irak. C'est sur cet échange que le film base toute sa critique politique, et véhicule son naïf message de tolérance et de rapprochement interculturel.
Ce n'est donc pas le fond déjà-vu de cette interaction qui peut captiver, mais sa pure forme ; forme rectangulaire qui ne cesse d'évoquer le motif hitchcockien de la fenêtre. Tout d'abord la fenêtre du web, lors des conversations Skype entre le personnage de Stewart et sa mère; puis la fenêtre des cellules, aux dimensions de meurtrière, entre le même personnage et le détenu Ali. Une fragmentation de l'image et de la vision d'ensemble, qui rappelle la guerre en Irak et sa couverture médiatique. Une guerre observée par bribe, par échos, par "on-dit". Le camp de Guantanamo, tout comme celui d'Abu Ghraib, a également fondé sa réputation sur les rumeurs du traitement brutal des prisonniers. On peut donc considérer ce projet comme un naïf réquisitoire qui infirme ou confirme la rumeur.
Tout l'exercice pour le réalisateur était alors de mettre en scène cette interaction par une géométrie simple et facilement identifiable par le spectateur, quitte à passer par des motifs déjà vus et revus. L'espace clos contre l'espace ouvert, la pénombre contre la lumière, les barreaux de métal contre la cour bétonnée. Et dans un inversement manichéen naïvement humaniste, les espaces sombres sont attribués aux soldats, tandis que les détenus baignent dans une constante lumière.
Et pourtant, dans ce jeu carré, d'oppositions carrées, et d'interactions carrées, va se créer une émotion. Comme si la non-originalité de ce choc se faisait oublier au profit d'une pure émotion de mise en scène. Car après son ballet infini et carré dans le couloir de même forme, Le personnage de Stewart cesse son manège, et observe le détenu au travers de sa fenêtre de cellule. Et dans un dernier échange, ils parviennent enfin à accepter l'image de l'Autre. Non pas forcément une image d'innocence, malgré ce qui est affirmé par le dialogue, mais plutôt une image d'empathie ; celles d'individus conscients de la situation d'enfermement et de non liberté dont se trouve l'autre. Et ce par un choix esthétique simple, une suite de champs-contre-champs subjectifs. Il n'en fallait pas plus, en septembre 2014, pour capter notre attention dans la morosité ambiante des productions américaines de ce début d'année.