Triades un jour, triades toujours
Après avoir accumulé les œuvres parmi les plus commerciales qu'ait connu le cinéma de Hong Kong, Wong Jing pique sa crise à la fin des années 90. Non pas que le producteur/réalisateur remette complètement en cause son cinéma (les comédies bas de plafond et œuvres exploitationistes continuent à être son pain quotidien) mais il lance une petite série de projets plus sérieux, plus à même de séduire la critique. Parmi ceux-ci, Hold You Tight (initié par Wong bien qu'il n'ait pas d'implication directe), A True Mob Story et ce HK Triad.
Cette production cherche à renier avec l'esprit des fresques nostalgicos-triadesques du début des années 90, initiée à l'époque par le succès de To Be Number One. Le genre n'aura pas vraiment donné de chef d'œuvre mais continuera au fil des années de faire des émules et attirera suffisamment de public dans les salles pour être considéré comme viable par les producteurs. Mais si Wong gère tout le travail en amont (production, scénario), il laisse les rênes de la mise en scène à un autre. Non pas un simple yes man attitré comme Aman Cheung mais à un réalisateur plus ambitieux (bien que très inégal), Clarence Fok.
Histoire de bien montrer le caractère plus ambitieux que la moyenne de cette production, Wong Jing utilise un procédé narratif peu employé par lui jusqu'ici : Le récit en flashback. C'est à travers l'évocation qu'en donne Ho que l'on découvre la lente ascension dans le monde des triades des deux « héros » du film. Il ne faut cependant pas longtemps pour se rendre compte que le procédé n'est qu'un pur gimmick. Il n'apporte rien de plus à un récit qui retrouve vite la linéarité attendue. Pas de mise en parallèle entre le Hong Kong moderne et le Hong Kong des années 60, pas de regard distancié de Ho sur son passé mafieux et ses choix de l'époque. Wong reprend les procédés des grandes fresques mafieuses sans en comprendre l'essence. Une posture qui synthétise bien l'ensemble du métrage, soufflant constamment le chaud et le froid, l'alternance d'idées fortes et de séquences bâclées.
Prenons par exemple le personnage de Ying. Sœur d'un des plus gros caïd de Kowloon City, elle est présentée comme une personnalité affirmée et charismatique. Sa première apparition, sous les traits de Diana Pang, donne bien le change et laisse augurer du meilleur pour la suite. Hélas, la belle jeune femme se transforme rapidement en une potiche après une jolie séquence romantique achevée dans la vulgarité la plus crasse. Lok souffre également de ce traitement en demi teinte, quoiqu'à un niveau moindre. Cela reste d'ailleurs un des personnages les plus intéressants du film avec celui de Fei Fei. D'abord plus vertueux que son collègue Ho, il se laisse graduellement entraîner dans la spirale de la corruption et est animé de sentiments contradictoires tout le long du métrage. Dommage que Wong ne parvienne malheureusement pas à explorer davantage la psychologie du personnage (on ne fait qu'effleurer la surface de ses émotions) et que Francis Ng ne sache pas exactement si il est dans un film sérieux ou une production nanarde (il alterne prestation concentrée et surjeu hors de propos). Fei Fei enfin, sorte de variation féminine du personnage de Lok, souffre également du manque de profondeur de l'écriture deWong mais est en partie sauvée par l'interprétation plus constante d'Athena Chu. Indiscutablement, toute la bonne volonté déployée par le producteur/scénariste ne peut camoufler ses cruels manques dans l'élaboration de personnages complexes et humains. HK Triad est un des films où il s'en rapproche le plus mais il demeure encore beaucoup de chemin à parcourir pour égaler les maîtres du genre (en vrac, Ann Hui, Lawrence Ah Moon...).
Comme beaucoup d'œuvres centrées sur l'ascension de gangsters, elle souffre aussi d'une posture morale assez trouble. Le début du film a un caractère quasi documentaire à travers l'évocation des origines des triades, une bonne façon de remettre en perspective l'univers dans lequel évoluera nos protagonistes. Mais la suite retourne dans les sentiers battus du genre, sans pour autant verser dans l'extrême glamourisation à la Young And Dangerous. Ho est à ce titre assez exemplaire puisqu'il est décrit comme un homme loyal envers ses amis et dont la saine ambition va lui permettre d'obtenir richesse et gloire...sans que soit remis en question les moyens par lesquels il y parvient. Bien que le gangster ne soit pas montré comme parfait (ses premières attitudes envers Fei Fei), il n'en demeure pas moins un personnage positif, dont la moralité douteuse n'est jamais critiquée. Assurément, le contexte des années 60, époque où la corruption était largement répandue et l'adhésion aux triades pouvait être considérer comme un bon ascenseur social, peut justifier certains aspects de la personnalité de Ho et son entourage. Mais la posture demeure à mesure que le film progresse dans le temps et même quand l'I.C.A.C. entre en jeu, celle-ci étant alors une sorte de super antagoniste qui vient troubler le bon business de nos héros... Une vision de l'histoire de l'ex-colonie assez douteuse...
Et pourtant, malgré l'ensemble de ses scories, on sent que de réels efforts ont été faits pour que le film soit aussi soigné que possible. A ce titre, le choix de Clarence Fok derrière la caméra est plutôt avisé. Le réalisateur est autrement plus nerveux en matière de mise en scène que Wong Jing et parvient à maintenir un bon rythme à l'ensemble du métrage. Tout particulièrement dans la première partie de HK Triad, Fok prend plaisir à filmer cette recréation du Hong Kong des années 60. Usant en large quantité de standards musicaux de l'époque, il confère à son film une ambiance proche du Days Of Being Wild de Wong Kar Wai. Plutôt étonnant pour une hagiographie de gangsters mais le résultat est plutôt plaisant, stylé et soigné. Habitué qu'il est des films d'action, Fok n'hésite également pas à en rajouter dans la violence. Les quelques séquences de sévices physiques ne font pas dans la dentelle et devraient certainement satisfaire les amateurs d'images agressives.
L'un dans l'autre, Fok tire le maximum de ce qu'il peut de son script. Dommage que celui-ci comporte tant de déficiences. Un scénario plus travaillé (ou au moins complété par quelqu'un d'autre que Wong Jing lui-même) aurait pourtant permis d'accoucher d'un long métrage de belle tenue. En l'état, on a juste droit à une œuvre distrayante mais vite oubliable, loin de l'ambition première à l'origine du film.