L'histoire d'un prince malheureux qui raconte des histoires flamboyantes pour tromper son désespoir. Oscar Wilde fascine forcément, pour peu qu'on ait jeté la moitié d'un œil sur n'importe quelle page du Portrait de Dorian Gray, cette mine d'aphorismes imparables si finement observés. Savoir qu'un génie pareil a fait de la prison pour son homosexualité a déjà de quoi contrarier un peu. Se dire qu'il l'a fait précisément en Angleterre... Même sans céder aux clichés, on peut légitimement penser qu'il fallait bien qu'une personnalité aussi contrastée et remarquable serve d'étalon aux contradictions d'une société horriblement hypocrite, professant trop haut des valeurs bafouées le sourire goguenard aux lèvres dans les arrières-salles et les boudoirs le soir venu. Toutes les aristocraties n'ont pas eu le culot de faire du libertinage un art et de le tartiner à la face du monde comme les Français l'ont fait. Les Anglais ont préféré jouer les prudes, une exclamation outrée sortant de leur bouche en cul de poule. Et voilà qu'un prince des lettres impossible à planquer sous le tapis a pensé que son statut le protégerait de la disgrâce. Il fallait faire un exemple, on l'a brisé. Ou du moins on a pensé le briser, parce qu'un caractère comme le sien ne pouvait guère rétrograder jusqu'à la médiocrité consensuelle de son temps. Ses proches sont passés à l'essoreuse de ce tempérament impossible, et ce film leur rend un bel hommage. Ses meilleurs amis se sont usés à lui tendre la main dans sa chute tandis que sa femme - trop rare Emily Watson - s'est elle aussi cassé les dents sur le caractère indomptable de ce mari irrémédiablement infidèle. Après, c'est la spirale infernale du dépit copieusement arrosé d'absinthe, et vérolé jusqu'à l'os... autant d'ingrédient qui garantissent une fin douloureuse mais pleine d'un certain panache tant l'anglais insoumis a cultivé le quant à soi et mis un soin infini à saboter son existence souffrante. Bref, une immersion dans un monde perdu que ses hypocrisies empêchent de regretter, même si une figure aussi éblouissante qu'Oscar Wilde ne pouvait être que son fils maudit. On voit mal quel écrivain contemporain pourrait se montrer aussi transgressif et mordant, et je suis à deux doigts de le regretter...