Bong Joon-Ho aura donc réussi à me faire réévaluer tous ses films et même à nuancer mon approche un peu trop empirique du cinéma coréen, dingue. Ce n'est pas que The Host m'ait déçu la première fois par son approche en forme de contre-pied du film de monstre, je ne m'attendais pas à un film de monstre classique de toute façon. Et ce n'est pas parce que ça semble original que ça tient forcément la route non plus. C'est plutôt que l'on utilise un mélange qualifié depuis 10 ans de "nouveau et génial" entre humour et noirceur comme une formule typiquement coréenne qui me saoule, car elle représente l'archétype de cette nouvelle vague que l'on oppose trop facilement au manichéisme américain. Beaucoup d'effets sont là pour le paradoxe des sentiments, l'humour dans la tristesse et inversement, or une bonne partie du cinéma coréen demeure manichéen à sa manière, comme un négatif US, développant les mêmes démonstrations lourdes et affichant à peu près les mêmes failles béantes de fond, la souffrance et la mort du héros comme Leitmotiv différentiel, d'autant plus si le réalisateur ne sait pas exactement où creuser son propos. Non, parce que les scènes mélancoliques sous la pluie, c'est bon, ils nous la font à toutes les sauces les bougres...
La réussite et la profondeur d'un scénario ne vont pas forcément de paire avec une approche originale quand on en vient à parler de chef d'oeuvre et bien d'autres cinémas asiatiques (et pas seulement) manient l'équilibre entre humour et noirceur depuis des décennies donc ce n'est pas nouveau, loin de là. On me rétorquera par exemple que le cinéma HK est bien plus caricatural dans cette approche des paradoxes humains. Je répondrais qu'il suffit de se mettre à un niveau de lecture différent pour y voir bien autre chose qu'une caricature. Le cinéma contemporain japonais semble quant à lui moins facilement abordable et donc moins propice aux claquage général. Être abordable n'est pourtant pas une condition nécessaire pour être un chef-d'oeuvre.
Je ne vous parlerais pas de chef-d'oeuvre même si The Host est un très bon film et que je comprends beaucoup mieux maintenant ceux qui le poussent au firmament. Une oeuvre solide, personnelle et abordable, simple et complexe à la fois, qui sonde la famille par la présence d'un monstre mère multi-métaphorique entre plusieurs extrêmes typiquement asiatiques, la distance froide Mikéenne, l'humour noir kitanesque, le réalisme Kore-edaesque, la subtilité Kurosawaesque (Kiyoshi) et surtout un équilibre que Bong Joon-Ho maîtrise en toute simplicité pour que ça ne tombe jamais dans la caricature, le pathos, les effets de manche faciles ou la contemplation bouche-trou. Les acteurs coréens sont aussi très bons et Song Kang-Ho tout comme Choi Min Sik en sont les fers de lance indéniables, ça n'a rien à voir mais je tenais à le dire. La musique de The Host est bonne mais avec le cinéma asiatique, on y est habitué (bon, y a toujours un léger côté cheapos perso mais je me tais...).
Il reste bien une sorte de désespoir mortifère assez typique de l'esprit de notre époque, quelque chose de profondément glauque qui passe trop aisément pour un truc superbe à mon goût, car mélangé à de l'espoir, une légèreté, une thématique familiale forte et un standing respectable. Quelque chose qui m'empêche de mettre 8 alors que The Host est pourtant bien plus solide que Snowpiercer me concernant.
Dans tous les cas, c'est assez magique de voir que Bong Joon-Ho contrebalance toujours ces extrêmes avec un ancrage simple et rafraîchissant dans la réalité et une grosse dose de subtilité dans tous les compartiments, de sa mise en scène, de l'image à son propos, n'est-ce pas Park Chan-Wook... Bong Joon-Ho le fait d'autant mieux ici alors qu'il parle d'un monstre fantasmagorique.
Pour le reste, tout le monde a déjà tout dit et c'est un film qui laisse plus une impression qu'un avis clair sur ses défauts et ses qualités. Bref, The Host méritait bien d'être revu, ne serait-ce que pour mieux savourer la pertinence de son titre. Bong Joon-Ho a encore frappé.