Bong Joon-ho aura exploré tous les genres : après la comédie sociale et canine, après le polar sociétal, place au film fantastique. Dans cette hétérogénéité, l’idée reste la même : une exploration des êtres et de leurs contradictions, un portrait de la cohabitation du grotesque et du sublime chez ces fragiles mais attachantes créatures que sont les hommes.
The Host joue donc la carte de la créature mutante (merci les américains et leur pollution des eaux) déboulant dans une Corée que le cinéaste va diviser en deux entités bien distinctes. D’un côté, la nation et ses instances décisionnaires, des militaires aux médecins, en passant par les médias et la police, tous vus par le même prisme assez radical : incompétents, inhumains, savants fous, en tous points responsables, voire métaphorisés par cette créature monstrueuse à laquelle ils ont logiquement donné naissance. Manipulation, expérimentation médicale, empoisonnement de la population toute entière dressent le portrait d’une société malade et décadente. De l’autre, une famille à l’autre bout du spectre social, une fratrie vaguement dégénérée par la malnutrition et les carences d’une parentalité dépassée. C’est là l’occasion pour Bong Joon-ho des portraits qu’il affectionne, et consistant à exposer en premier lieu le ridicule de ses personnages. Comme souvent, l’aspect comédie asiatique génère quelques débordements un peu déconcertants (notamment lors des pleurs à la veillée mortuaire), et le mélange des registres peut dérouter par instants. Mais c’est aussi le gage de séquences qui se détachent de l’ensemble et révèlent soudainement l’humanité des personnages, à l’image de la séquence du repas où l’on nourrit la fillette disparue, ou la mort du père sous la pluie.
La construction du récit, quelque peu systématique, procède sur la dynamique d’une démonstration : la première version déficiente de la cellule familiale se voit mise à l’épreuve par la disparition de la fille, mais c’est la mort du patriarche qui permettra, dans un second temps, la fédération des diverses forces (la contestation du diplômé au chômage, le tir à l’arc de la sœur, l’amour et la persévérance du simple d’esprit) et la victoire sur la bête, mais pas forcément dans les cœurs.
Au-delà du récit, c’est évidemment sur la forme qu’on attend un cinéaste de la trempe de Bong Joon-ho. La grande lacune est malheureusement la bête numérique, très peu convaincante, trop lisse, et qui tranche avec la vérité des êtres avec lesquels elle interagit. Cela n’empêche pas certaine belles séquences, notamment la tentative de fuite de jeune fille, où le silence et la durée instaurent une tension efficace.
Mais c’est surtout dans son exploration urbaine que le réalisateur se surpasse. Après la campagne de Memories of Murder, la ville et l’architecture sont ici les grands éléments esthétiques, des rampes d’accès aux égouts, des rives bétonnées du fleuve à la ville nocturne. La photo joue sur les tonalités noires et grises, qu’on retrouve d’ailleurs sur les visages souillés des deux enfants, et atteste d’un travail graphique particulièrement soigné.
Autant d’éléments qui contribuent à faire de The Host un film à la hauteur de son créateur : bigarré, exigeant, jouant avec les codes tout en maintenant cette attention portée aux individus, pour un résultat certes moins fascinant que Memories of Murder, mais qui reste tout à fait passionnant.
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