La princesse et la grenouille
J'aimerais d'emblée mettre de côté toute décortication de sous-intrigue relationnelle, de complexité sociale ou autre discours politico-revendicateur élaboré qu'ont souvent besoin d'évoquer certains fans aliénés du réalisateur pour s'excuser pour eux même d'apprécier un simple film de genre.
Je vais donc me focaliser sur des choses simples, des choses de la vie, naturelles : Un triton mutant qui mange des gens.
Contrairement a ce qui a souvent été dit par ici ou par là, The Host ne révolutionne pas du tout le genre dans son élaboration et s'installe, lors de son arrivée, dans une lignée du film de bestiole déjà bien éprouvée. Non, amener directement une grosse scène d'attaque au bout de 15 minutes n'a rien d'exceptionnel en 2006, quand bien même ça foutrait en l'air tout ce qu'avaient installé les piliers fondateurs du genre occidental, de King Kong à Jaws en passant par Alien. Il se trouve que depuis, la mise en scène de gros machins visqueux a vu défiler quelques jours plus ou moins heureux et se passer de préliminaires pour entrer directement dans le carnage rugissant, on connait déjà.
Par contre, ce qui est réellement notable ici, c'est que cette construction n'est pas un simple aplat pour couvrir pesamment une amphore toute vide, souvent le propre des métrages usant de cette narration "plein la gueule direct", non pas que le scénario brille ici d'un flamboiement intersidéral, mais juste parce que la mise en scène s'avère finement étudiée et savamment dosée pour accrocher dans une histoire simplement efficace.
The Host a en effet quelque chose. Une certaine poésie qui fredonne dans l'ombre et danse comme les reflets luisants sur l'épiderme suintant de sa créature des abysses. Une effrayante douceur qui tient du conte. Bien entendu, cette beauté limpide n'a que peu à voir avec tout ce devant quoi les fanatiques du cinéma coréen s'agenouillent en troupeaux, érigeant des étendards intouchables à la gloire de films au fumet exotique, dont la lancinante sublimation d'une violence crue et musicale a su appeler sous son aile plusieurs générations de dévoués adorateurs. Non. The Host est juste une réminiscence ravivée d'un cinéma ancien, jouant sur des codes anciens, des dualités anciennes, un lyrisme éternel.
Encore une fois, je n'ai aucune envie de m'attarder sur l’enchaînement de situations dramatico-burlesques et sur les dynamiques d’interactions, d'autres ici en on déjà fait une autopsie parfaitement à même d'en glorifier les mérites comme d'en montrer les limites. Pour être très honnête, ce n'est pas ce qui m'intéresse dans un tel film. Il est déjà bien assez rare de tomber sur une oeuvre contemporaine du genre qui sache filmer son sujet, et il se trouve justement qu'un des principaux intérêts que je place dans ce style que j'affectionne tant, c'est la façon de raconter les griffes et les crocs avec une caméra, de suggérer, de cacher-dévoiler et de savamment titiller l'imaginaire besogneux pour qu'il s'emploie à faire le reste. En ça, l'histoire de la carpe vorace marche très bien.
Alors oui, je me contente de voir ici une nouvelle version de La Belle et la Bête, saveurs égouts et bave. Certaines scènes tiennent du miracle et modèlent dans le magma virulent du genre quelques images du plus bel effet, traçant dans le délié d'un tentacule une poésie certaine, bien loin de tous ces messages qu'on s'acharne parfois à y trouver. Quelque chose de touchant et fort qui se contente juste de tenir de l'idée picturale et scénique. Simple et percutant.