Souvent taxé d’ « écolo » et présumé anti-américain (jusqu’à en être admiré en Corée du Nord pour ces raisons), The Host n’est pourtant pas, selon son auteur, une oeuvre velléitaire (ce serait tout au plus un film anti-militariste). Mais il semble s’en être défendu mollement pour mieux souligner l’évidence et la valider aux yeux des observateurs-critiques : l’envahisseur étranger est suggéré à chaque occasion et sous diverses natures (Corée du Nord ou USA, autorité étatique ou progrès scientifique, c’est le même tarif). Par ailleurs, cet objet hybride (autant comédie mainstream que défouloir gore et suspense kitsch) raille l’Amérique, sa paranoïa sécuritaire mais aussi son cinéma.
Un artisan enraciné
Bong Joon-Ho est un cinéaste sud-coréen important et dans sa région, c’est une figure aussi proéminente qu’insaisissable, ne s’affiliant à aucune des grandes écoles en vigueur (en substance – classicisme ou occidentalisation peu nuancée et parfois euphorique). Consacré par Memories of Murder, révolution ou au moins chef-d’oeuvre décisif pour beaucoup, Bong Joon-Ho est vraisemblablement abusivement célébré (4e du classement de la décennie des 2000s dans les Cahiers du Cinéma) mais surtout, mal compris (ou au moins tendancieusement interprété). Memories a été vécu comme une sorte de messie, les cinéphages occidentaux étant pressés de couronner un produit exotique mais assimilé (du colonialisme formel en quelque sorte) ; c’était bien le grand thriller local, entre américanisation et arrière-pays à tous les niveaux. Sauf que l’affection de Bong pour un traditionalisme serein face à la société moderne n’est pas relevée ; avec The Host, cette propension se répète mais n’attire pas davantage l’attention puisqu’au contraire, on s’engage dans le commentaire oiseux (car le film dégage une forte intensité, notamment visuelle) ou technicien (le produit est envisagé comme un formidable freaks-movie et les codes de genre sont énumérés). Pourtant l’essentiel, c’est de retenir que Bong Joon-Ho s’inspire de l’histoire nationale (dont les faits divers) et ancre ses fables fantaisistes ou macabres dans la réalité sociologique et politique : son amour de la famille et du peuple déclassé adepte du système D est criant, de même que ses pulsions isolationnistes – nous sommes toujours immergés loin du Monde, dans un contexte de crise ou autour d’un clan pacifique mais éprouvé.
Un style vif, un exercice laborieux
Même pour un public cinéphile ou « asiaphile », le spectacle est improbable : The Host applique des méthodes hollywoodiennes tout en conservant des tics narratifs spécifiquement est-asiatiques. La fusion engendre un effet de décalage étrange, de trivial lointain, entre habillage relativement usuel et ton inadapté. Malgré un sens aiguisé du spectaculaire, une galerie de péripéties foraines et des morceaux de bravoures teigneux, la narration syncopée peut dérouter. Les fausses pauses, les trous dans le récit se multiplient alors que dans le même temps et malgré la légèreté du style, The Host est un monstre ankylosé, plombé par l’abondance de thèmes qui sont autant d’axes majeurs mais traités de façon empressée. C’est un aspect déjà révélé dans Memories, devenu criant ici : Bong Joon-Ho est ambitieux mais pas assez décidé (trop vaguement « dépressif » pour être triomphant ?) ; il suit toujours son fil rouge (très chargé et construit d’ailleurs) mais peine à être expansif ou entier dans les sujets dont il s’entiche. Les digressions se cumulent, tissent une toile très structurée mais c’est un puzzle dont les pièces ne se répondent pas. Tout le travail de mise en scène consiste à les assembler sans passion pendant que les gadgets font office de stimulants.
The Host, farce douce-amère
Ce dilettantisme narquois (parce que les ambitions sont transparentes) donne l’image d’une sorte de sale gosse, sage à la ville et vaguement rebelle à l’écran, infiltrant l’industrie avec pour seule arme, l’inventivité et la force de faire de ses contemporains (d’aujourd’hui comme du passé) et leur société les quilles d’un festival de sabordage général. Bong Joon-Ho est une sorte de reflet de Michael Bay : il est plus conscient, indépendant et détaché, mais finalement pas moins bourrin. C’est pour cela aussi qu’on ne peut pas le réduire au statut de simple trublion : il nourrit son œuvre et ce fragment-ci en particulier d’une dimension politique limpide et brute, faisant suinter un ton désenchanté compensé par un regard complice. La logique et l’amertume comique suggèrent un pessimisme tout le long, mais jamais il n’est accouché, une lucidité froide et bruyante occupant l’espace. En quelque sorte, c’est l’anti-Burton : le fantastique lorgnant vers la fantasmagorie ne sert pas une subversion labellisée ou ne consiste pas en une simple pose excentrique un peu bouffie, mais vers le commentaire socio-culturel. Du cinéma populaire, invitant à l’abstraction pour tout de suite (par l’analyse épurée de tous jugements) renvoyer au réel de son public.
http://zogarok.wordpress.com/2013/06/08/the-host/