Antichrist
Alors que la polémique gonflait depuis quelques heures sur la prétendue violence de son film, alimentée par les nombreux claquements de porte lors de la projection officielle au Festival de Cannes...
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le 16 oct. 2018
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Le retour d'un réalisateur de l'ampleur de Lars von Trier après une absence remarquée de sept ans avait de quoi me faire attendre, surtout après un festival de Cannes 2011 où son attitude déplorable de complaisance envers le nazisme le montrait comme dévoré par sa tentation de provoquer en permanence. Le choix de revenir au cinéma à travers une réflexion sur l'artiste et son rapport au monde m'a à ce titre intrigué, d'autant qu'elle semblait prendre la forme d'un thriller malsain. Un mélange prometteur, dont le résultat, pour bancal qu'il soit, est une œuvre riche et sincère, qui ne laissera bien entendu personne indifférent.
Si je me permets une introduction ancrée dans l'actualité, c'est que ce film est ouvertement "méta", c'est-à-dire écrit avec la conscience qu'il s'agit d'une œuvre de fiction s'adressant à un spectateur. Pas besoin d'une connaissance avancée de sa filmographie pour comprendre que dans le dialogue dialectique entre Jack le tueur et Verge le confesseur qui structure le métrage, ce sont les états d'âme de Lars von Trier qui s'expriment. Ce discours dense, articulé autour d'images symboliques représentant la construction de la maison citée dans le titre, est à mon sens la force principale du film, car sa sincérité lui donne de l'ampleur et une forte portée émotionnelle.
Lars von Trier a un sens de l'image évident, et offre à plusieurs reprises des plans aussi parlants que beaux, qui en disent beaucoup sur les personnages et leur état d'esprit. La photographie est soignée dans toutes les parties du récit, réalistes comme fantastiques. Beaucoup de choix de réalisation ont aussi emporté mon adhésion, notamment le motif de la répétition qui exprime les multiples troubles obsessionnels compulsifs qui hantent le personnage de Jack. Je pense aussi aux gros plans saccadés sur son visage halluciné, dont la puissance m'a frappé.
C'est toujours un équilibre difficile à trouver que d'appuyer son récit sur un anti-héros, qui doit à la fois créer de l'empathie et être un repoussoir moral pour le public. Un tel tour de force tient souvent à la performance de l'acteur.ice choisi.e pour le rôle. Voilà pourquoi il me semble essentiel de saluer la puissance du jeu de Matt Dillon, qui donne une épaisseur étonnante à son personnage en laissant par moments filtrer une vulnérabilité presque enfantine, pour mieux revenir à des actes barbares, pratiqués avec une indifférence glaçante. Bruno Ganz (qui incarna Hitler dans le film La Chute, est-ce étonnant ?) est également savoureux en figure morale sévère, presque coincée, mais jamais dupe du récit qui lui est fait. Ce duo d'acteurs fonctionne très bien, et permet au film de ne jamais perdre le fil de son propos, malgré des égarements ponctuels.
En effet, The House... est un thriller, et entend bien l'affirmer à grand bruit, ne lésinant pas sur les effets souvent trop appuyés, qu'il s'agisse de briser des tabous ou de montrer des images gores presque jusqu'au grotesque. C'est là que je rencontre mon premier problème avec le film. Qu'il faille poser des images sur le mal qui habite Jack est une chose, mais qu'on sente si souvent dans les meurtres la volonté de choquer le bourgeois, c'est le chemin idéal pour sortir du récit et voir les ficelles d'un processus créatif qui cherche avant toute chose à faire réagir, même si c'est en vain, sans aucune conséquence sur l'histoire ou les personnages. Au point même où j'ai trouvé parfois que la justesse du portrait psychologique de Jack était mise en danger, au nom d'effets de manche pas franchement intéressants.
Dans le même ordre d'idée, je regrette la faiblesse des personnages secondaires, en particulier des femmes, dont le rôle consiste le plus souvent à être des victimes muettes et complètement transparentes. Qu'il y ait des victimes arbitraires dans un film traitant d'un serial killer semble naturel, mais cela n'interdit pas de les caractériser un minimum, ne serait-ce que pour ajouter de l'enjeu à la menace sur leur vie. J'ai souvent eu l'impression que Jack s'attaquait à des silhouettes, ce qui me laissait assez froid quant à leur sort, ce que je trouve ironique dans un film cherchant à ce point à troubler son public.
Noter ce film est un exercice difficile. J'en ressors avec une impression clairement mitigée, agacé par des défauts un peu infantiles qui nuisent à un propos pourtant intéressant en lui-même. Il n'en reste pas moins que The House... est une proposition franche de cinéma, qui a atteint quelque chose en moi, et dont certaines images me resteront sans doute en tête longtemps. En ce sens, je suis content que ce film existe, et que nous ayons pu nous rencontrer. C'est déjà beaucoup.
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Créée
le 22 oct. 2018
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