James Gray et moi, avouons-le sans fard, c’est un peu une histoire d’amour…

Jusqu’ici, rien à redire, une carrière sans faux-cols à l’abri des erreurs habituelles de parcours, un classicisme atypique, un vrai talent pour raconter une histoire, des plans souvent superbes, une chouette photographie, une direction d’acteurs au cordeau, des thèmes marquant, un noir plus profond que clinquant, un peu tout le contraire de ce qui sort en salle depuis des lustres en fait, d’où ma propension à ne jamais rater à sa sortie un des rares films d’un des derniers cinéastes dignes de ce nom en activité.

Mais celui-là, allez savoir pourquoi, il ne semblait guère prometteur, je ne sais pas si c’est la laideur de l’affiche, le sujet potentiellement lourdingue, le casting un peu douteux, le côté film d’époque, les retours mitigé à Cannes ou juste un pressentiment, mais c’est un peu comme le dernier frères Coen, on a beau continuer à respectueusement aller voir les sorties récentes, certains sont quand même franchement moins bandants que d’autres…

Comme d’habitude, on a le droit à Joaquin Phoenix plus torturé que jamais, une vision des communautés New-yorkaise version interlope et une photographie travaillée… Malheureusement pour cette dernière, c’est Darius Khondji qui s’y colle, c’est-à-dire que la notion de subtilité ne sera pas forcément au rendez-vous et ça colle très bien avec l’histoire, hélas…

Oui, parce que moi, les histoires de Cosette qui se prend tout dans la gueule pendant deux heures sans rien pour arrêter le martyr de temps à autre, ça m’épuise, ça lasse, ça devient pénible, surtout si Marion Cotillard est trop concentrée par son polonais pour songer à donner ce qui manque le plus cruellement à son personnage sacrificiel, une incarnation, une âme, quelque chose de vivant au-delà de la technique et de la froideur dans une histoire qui oublie l’humanité qui se cachait toujours quelque part dans les tragédies précédentes du cinéaste.

A noter que le scénario n’est pas aidé en cela par l’intrusion d’un troisième comparse joué improbablement par Jeremy Renner… le personnage du magicien qui se donne des airs de chevalier blanc dans une lutte fratricide mal posée ne convient absolument pas à cet acteur de second plan qui aurait dû y rester… Gominé, maquillé, moustachu, exhibant sans pudeur son espèce de plaisanterie nasale caractéristique qui donnerait envie de hurler au postiche, le pauvre petit échoue absolument à incarner un personnage dont il n’a pas le début du commencement du premier centième de présence nécessaire.

A noter tout de même qu’il a donné lieu à quelques fous rires, lorsque l’idée particulièrement saugrenue de l’envisager comme interprète principal d’un biopic prévu sur Steve McQueen venait à l’esprit de mon voisin ou au mien au détour d’un plan particulièrement désastreux pour son physique ingrat…

Là où le rire se tord, par contre, c’est quand j’apprends que depuis le lancement de ce projet malade, l’infâme petite crapule a osé demander à James Gray de réaliser lui-même l’ignominie prévue, comme si je n’avais même plus le droit d’espérer un réveil du cinéaste dans les années à venir…

Pour en revenir au film, ma première déception amoureuse, donc, en attendant les suivantes, il y a dans cette atmosphère froide et glauque quelque chose d’indéfinissable qui empêche chez moi la moindre empathie alors même que les atmosphères froides et glauque des films précédents avaient justement quelque chose d’indéfinissable qui me bouleversait…

Sachant que parmi les projets futurs d’un ancien discret devenu boulimique se cachent un improbable projet de S-F, un David Lean sous hallucinogènes et donc un biopic du plus beau mâle d’Hollywood incarné par un jocko à demi dégénéré, gageons que ce n’est pas encore demain que je vais les retrouver, moi, toutes les nuances de Gray…

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le 10 déc. 2013

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Torpenn

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