Je considère James Gray comme un des plus grands cinéastes de notre temps, trois de ses précédents films sont arrivés à la première place de mes classements annuel perso (The Yards, La Nuit nous appartient, Two Lovers). Ce cinéaste formaliste exigeant bénéficie d'un accueil souvent très chaleureux en Europe alors qu'il est quasiment inconnu dans son pays. Sélectionné quatre fois à Cannes en compétition officielle, il en est cependant toujours reparti bredouille et l'accueil a parfois été tiède pour ses plus grands opus (Two Lovers). The Immigrant connaît à nouveau cette mésaventure. Les notes et les critiques laissées en mai sur SensCritique sont particulièrement mitigées. Le film semble froid et passe à côté d'un mélodrame puissant.
Pourtant, il n'est pas certain que le mélodrame soit le projet du film. Durant les 2 heures de la projection (y-at-il une seconde du film qui soit ennuyeuse ?), on assiste aux stratégies déployées par une jeune immigrante polonaise (Marion Cotillard) pour faire sortir sa jeune sœur de l'infirmerie de Elis Island où elle a été placée en quarantaine, alors qu'elle est en butte aux manœuvres d'un souteneur pour la maintenir sous sa coupe (Joaquin Phoenix minéral). La dramaturgie du film est donc resserrée sur le destin de la jeune femme : James Gray privilégie les gros plans, dans un scope qui isole ou rassemble les personnages grâce à un habile jeu avec les miroirs du décor, pour traquer les moindres nuances de l'expression du visage de Marion Cotillard, qui, il faut l'avouer est exceptionnelle ; son jeu ne cède jamais à la facilité. Le trio qui fait d'habitude la force des scénarios de James Gray est ici secondaire même s'il donne lieu à des scènes d'une grande intensité où s'épanouit la rigueur formelle du cinéaste et son sens de la dramaturgie. Il s'agit moins d'un mélodrame que d'un récit initiatique très puissant qui déploie à chaque instant une mise en scène d'une grande inventivité formelle (il y a une idée par plan : de la statue de la liberté vue de dos de la 1ère scène à la dernière image, la plus belle vue au cinéma cette année), la photographie de Darius Khondji, en nuance d'or et de gris, est magnifique, la musique rappelle le score de David Mansfield pour Cimino. On préférera peut être les tragédies grecques de ses précédents chefs d'oeuvre, mais l'émotion procurée par The Immigrant, moins immédiate, infuse tout au long de la projection.