L’enfance a toujours été un terreau particulièrement fertile pour l’épouvante : non pas, comme on l’a longtemps exploité, pour traiter le vulnérable protagoniste la victime qui suscitera le plus d’empathie du spectateur, mais lorsqu’on fait de lui l’adjuvant des forces noires.
The Innocents s’attarde sur la singulière aptitude de ces êtres en formation, dont l’amoralité permet des expériences et des audaces que l’individu efface rapidement de sa mémoire, effrayé par les gouffres béants qui s’offraient alors à lui. Eskil Vogt, coscénariste attitré de Joachim Trier, avait déjà abordé avec lui le paranormal dans Thelma en 2017, et le laisse ici pleinement s’exprimer en réunissant un groupe de jeunes enfants qui développent des pouvoirs extraordinaires. Alors qu’on pourrait imaginer une lente dérive dans les mains de protagonistes trop peu préparés pour gérer leurs aptitudes, le réalisateur prend au contraire soin de révéler la cruauté inhérente à cet âge. Face à sœur handicapée, la protagoniste interroge ainsi par une série de sévices ce mutisme qu’elle ne comprend pas, augurant d’un rapport trouble à la violence et à la tentation presque innée de la barbarie.
L’immersion totale dans un monde où les adultes sont relégués à la marge passe par une exploration d’espaces réduits : les appartements des membres de la bande, l’aire centrale de jeu et les bois alentour prennent la dimension d’un continent sur lequel les aventures sont sans limites. Rivé au point de vue des bambins, le spectateur en arrive à questionner la part d’imaginaire dans leurs jeux, et c’est là que se construit une progression horrifique savamment échelonnée, lorsque les victimes collatérales se multiplient et que les conséquences douloureuses se font ressentir – particulièrement sur le public : la salle Debussy comble à Cannes a laissé échapper un frisson d’horreur non contenu lors de la très éprouvante scène réservée au chat…
The Innocents fonctionne donc avant tout par l’atmosphère ambivalente qu’il parvient à mettre en place : l’horreur se loge au grand jour, dans les jeux spontanés et innocents d’enfants amusés, voire émerveillés de la magie qu’ils manipulent. L’écriture de la figure du mal reste plus rudimentaire, s’inclinant face aux capacités expressives des ressorts esthétiques : un cadrage anxiogène des espaces, un travail particulièrement soigné du son et un jeu sur des lumières très claires permettent ainsi de colorer avec pertinence cette déclinaison du genre. L’apogée du film, dans l’aire centrale en pleine journée, bondée par toute la résidence, concentre toute cette recette d’un fantastique qui sait conjuguer le spectaculaire et passer presque inaperçu aux yeux du commun des mortels. Rationnels, insouciants, les témoins ignorants du drame qui se jouent sont en réalité les derniers innocents de ce macabre récit initiatique, qui laissera bien des stigmates.