Voilà un chef-d'œuvre assez méconnu de Roger Corman, qui le considérait pourtant comme un de ses préférés. Un film politique fortement engagé à une époque où la défense des droits civiques aux Etats-Unis était plus que compliquée, comme en témoignent les difficultés de tournage dues aux réactions des habitants ainsi que les lettres de menace que Corman aurait reçu.
Tiré d'une histoire vraie, The intruder décrit la très difficile application des lois de déségrégation, notamment dans le Sud où les mentalités n'étaient manifestement pas prêtes. L'histoire se passe en effet dans le vieux Sud des Etats-Unis, sans doute dans le Tennessee (non loin de Farragut), où un homme, Adam Cramer, vient dénoncer les nouvelles lois et leur application dans la ville avec l'entrée de dix jeunes noirs dans le lycée jusqu'alors réservé aux blancs.
La population locale est largement opposée à ce changement. Cramer, membre d'une organisation d'extrême droite vient sur place prôner la désobéissance. Mais il va aller au-delà, organisant même une parade du Ku Klux Klan dans le quartier noir qui va se terminer par le dynamitage du temple et la mort du pasteur, ce qu'il n'avait pas envisagé au départ.
Cramer est un séducteur, un manipulateur monstrueux, qui selon les cas utilise les individus ou la foule, dont il sait admirablement flatter les bas instincts, et notamment son racisme. Il dénonce le mouvement des droits civiques, et notamment le NAACP qui serait un organe du parti communiste dirigé par des Juifs détestant le pays et ne songeant qu'à l'affaiblir. Il refuse la fin de la ségrégation, manifestant sa peur d'une Amérique « bâtardisée » comme il dit.
Face à lui, pas grand monde, pas de militant ou de héros de la cause noire, mais quelques individus « normaux », qui se comptent sur les doigts d'une main. Un homme, entre autres, se trouve à la croisée des chemins et va finir par prendre fait et cause pour les noirs, contre son entourage et contre la ville dans son ensemble. Il s'agit de Tom McDaniel, un journaliste qui va prendre des risques par rapport à son travail (journal contrôlé par un partisan de la ségrégation), par rapport à sa famille, et qui va finir par être tabassé et perdre un œil.
Corman nous montre ainsi la difficulté pour les blancs solidaires des noirs d'assumer leurs convictions, de résister à une foule hostile, surtout quand le shérif est d'accord avec la foule et qu'il ne fait pas son boulot de faire respecter la loi.
Il nous décrit aussi la place peu enviable des noirs perçus comme des « envahisseurs » alors qu'ils sont nés sur place, victimes au quotidien d'insultes et d'humiliations, voire de violences physiques. Que faire notamment face à l'opposition majoritaire à l'entrée de jeunes noirs au lycée ? Faut-il abandonner ou aller jusqu'au bout pour gagner ce combat, ici juste faire appliquer la loi, au risque de faire perdre des vies (violences diverses, lynchages) ?
Le scenario est servi par des acteurs formidables, avec le pas encore connu William Shatner, quelques années avant qu'il prenne en main l'Enterprise, excellent ici dans le rôle de Cramer. Mais il y a aussi d'autres excellents acteurs que je ne connaissais pas dont Frank Maxwell, Robert Emhardt ou encore Léo Gordon, sans parler des seconds rôles, notamment parmi les partisans de Cramer.
Il y a quelques scènes absolument magnifiques, n'ayons pas peur des mots, notamment celle entre Cramer et son voisin, scène tendue où le voisin de Cramer lui démontre sa lâcheté et lui révèle à l'avance la fin de l'histoire, lui expliquant qu'il ne contrôle plus ce qu'il a semé.
Corman met ainsi en place une sorte de parallélisme entre deux personnages clés du film : Cramer, qui ne doute de rien mais au final se révèle être assez lâche, et McDaniel, qui doute mais sait être courageux pour assumer ses convictions.
Corman nous offre aussi de jolis plans, des mouvements de caméra intéressants et aussi, il faut le dire, quelques effets et fondus discutables mais dans l'ensemble j'ai beaucoup aimé la réalisation, accompagnée d'une musique rythmée, toujours bien adaptée à l'action et à la tension du film.
Voilà donc au final un superbe film. Un film de surcroît très courageux qui dénonce en 1962 le racisme de la société américaine, alors qu'on est en plein dans la difficile bataille pour les droits civiques.