David Fincher est un grand cinéaste.
Vous lisez la critique de quelqu'un qui en est convaincue pour les mêmes raisons qui ont déjà été répétés. Je trouve même que Fincher a tendance à fasciner pour beaucoup de raison ce qui en fait sûrement un des réalisateurs les plus analysés, où les avis positifs à son égard sont très variés en fonction des préférences de chacun. Le mot qui revient tout le temps est "précision". C'est étrange car on voit tous ce que ça veut dire chez ce gars, alors qu'au final c'est un adjectif assez large et qui pourrait s'appliquer à beaucoup d'autres artistes. Seulement lui en a fait un sujet, il le traite à sa manière, et comme souvent chez les névrosés, sa fascination est aussi souvent ce qui est dangereux dans son œuvre. C'est régulièrement l'obsession qui perd ses personnages, tout du moins qui va pousser leur vie dans un tournant peu recommandable.
Cette obsession, elle est au cœur de The Killer, je pense que c'est assez visible. J'en veux pour preuve que la plupart des critiques positives sur le film qui mettent en avant le lien entre le personnage incarné par Fassbender et Fincher. En soi je suis d'accord avec cette analyse. On peut la pousser jusqu'à l'utilisation des technologies modernes utilisés dans le film pour arriver à ses fins (choses absente de la BD dont est tiré le film, elle ne se passe pas en 2023). Des technologies pouvant être donc très dangereuses mais également bénéfiques, selon le camp où on se place. Le parallèle avec l'envie de Fincher d'être toujours plus minutieux grâce aux technologies numériques qui ne cessent d'évoluer, je peux l'entendre.
Mais il y a un hic, c'est que je ne trouve pas ce parallèle très intéressant, car il s'arrête là. Pour commencer je ne pense pas que Fincher voit en les nouveautés numériques et digital, comme la SVOD par exemple, comme un danger pour le cinéma. Cet avis est quand même beaucoup utilisé par des gens qui continue d'être extrêmement méfiant envers le cinéma numérique, un avis que je ne partage pas du tout. Je diverge mais je pense que ce n'est rien de plus qu'un outil et que tout dépend de son utilisation. Mais c'est un autre sujet !
Je fais ce long préambule pour finalement dire que cet objet très froid; calculateur, précis, distant, riche de détails qu'est The Killer, à l'image de son personnage; je le trouve assez lisse. De la même manière que je fais vite le tour de ce parallèle entre l'œuvre et son auteur, je fais vite l'impasse sur ces qualités car tout ça est quand même assez grossier.
Par exemple son travail sonore est d'une variété rare, certes, mais également très audible. Ce n'est pas gênant en soi, mais assez vain. Car je ne comprends pas ce qu'il veut me dire au travers de ce travail de mixage. Je ne vois pas de réel parti pris, car son idée la plus visible est cette utilisation de la musique : quand on voit de son point de vue, on entend ce que ces oreilles entendent, et dans les autres plans, ce que quelqu'un d'autre entendrait.
D'accord, mais ça n'est pas vraiment tenu du fait que hors musique, on entend parfois ce que lui entend (les bruits des écouteurs dans ces oreilles par exemple) et parfois non. Je cherche du détail, mais si on prend un parti pris aussi visible, la politesse est de le tenir, sinon je ne comprends pas ce qu'on me dit. Ou alors briser ce parti pris à un moment qui a du sens. Pour prendre un contre-exemple, Memento, quand c'est dans le futur, c'est en noir et blanc, quand c'est dans le passé, c'est en couleur. Quand les deux s'assemblent, on brise la règle. Qu'on aime ou pas, ça a une logique. Dans The Killer, à l'image de ce procédé, tout est fade.
Cette voix off par exemple. On entend Fincher dire que ce qui l'intéressait dans cette voix qui se répète des mantras, se martèle une vérité, c'est de mettre en avant comment on peut se plonger dans un déni et s'y conforter (c'est le principe). Là aussi je vois l'idée, en attendant ça ne justifie pas plus de 2 heures de films où j'ai quelqu'un qui me fait de la philosophie de comptoir avec, certes, une très jolie voie. Enfin sans compter les séquences de dialogues qui sont pour certaines vraiment insupportables. Je pense aux face à face dans un restaurant où vraiment, ça ne serait pas ce cinéaste je doute très fort de l'accueil pour ce film.
Le personnage qui donne son titre au film, le tueur, est problématique. Au passage, Fassbender est totalement habitué par son rôle, en retenue, jamais dans la parodie. Il évite même par moment où son personnage est assez maladroit de nous faire rire. Je pense sincèrement que si ça n'avait pas été lui, le métrage aurait été comique involontairement très régulièrement. Ce qui n'est pas un problème car de fait, ça ne l'est pas.
Il y a une envie de déconstruction de la figure de son protagoniste évidente. La référence qui vient à l'esprit c'est Le Samouraï de Melville qui lui aussi à un personnage qui semble intouchable grâce à son inhumanité mais qu'un évènement va faire complètement tressaillir et va au contraire le rendre plus faible tout en restant un adversaire redoutable et imprévisible. Sans rentrer dans un concours de comparaison car c'est souvent vain, mais pour citer un autre film que j'aime beaucoup qui déconstruit également cette figure mais d'une manière plus personnelle et aboutie, il y a A bittersweat life de Kim-Jee-Woon. Il s'agit d'un équilibre compliqué entre distances avec son personnage pour garder une fascination intacte, tout en montrant ses failles sans le démystifier. Ce dosage s'effondre complètement dans The Killer.
Je vois plusieurs raisons.
L'intro, j'ai du mal à croire en ce gars après ce qu'il s'y passe. La lourdeur de la mise en scène qui reste intacte peu importe ce qu'il s'y passe. Ce ne sont pas les shaky cam ajoutées au montage immondes qui me feront dire l'inverse.
Ainsi que l'histoire d'amour. Non seulement je n'y crois pas une seconde, mais en plus elle me fait perdre tout fantasme envers ce mec.
Pour toutes ces raisons, la mise en scène et le rythme me semblent extrêmement artificiels, et on parle de Fincher, c'est la 1ère fois que je ressens ça chez lui. Il a fait des films que je n'aime pas beaucoup, comme Panic Room, mais qui tente énormément de chose et qui va lui permettre de s'entraîner. Sans Panic Room, je suis persuadé qu'il n'y aurait pas de Zodiac. Ce serait dommage. Là je vois quelqu'un me dire des trucs évidents pendant 2 heures, la fin me le confirme.
Oui on sait que les tueurs à gages ne sont que des numéros pour les commanditaires, pas la peine de me le souligner grossièrement en pensant être subtil.
En fait je crois que c'est ça l'image qu'il me donne, quelqu'un qui prend énormément de précision pour me raconter quelque chose de très grossier. Un chirurgien avec des gants de boxe.
Rassurons-nous, il sait toujours filmer. C'est encore un plaisir de le voir construire des cadres, il n'a jamais de zone de vide, toujours un éclairage qui va lui permettre de faire un raccord élégant, une gestion de l'espace qui lui appartient, où tout semble constamment trop petit. On étouffe constamment. Je n'ai pas du tout perdu espoir en David (je me permets), il aurait fallu quelqu'un derrière pour vérifier ce qu'il fait, un producteur par exemple., dont c'est avant tout le boulot. Pas juste d'être un porte-monnaie (coucou Netflix).
Voilà pour mon avis sur The Killer de David Fincher. Revoyez tous les autres, ne m'en voulez pas de mettre des parenthèses partout (j'adore ça).