Ce serait peu dire que j'attendais le nouveau film de David Fincher avec une grande impatience. Michael Fassbender en tueur glacial, c'est le genre de contrat pour lequel je signe des deux mains les yeux bandés. Alors, mission réussie ?
La scène d'introduction de The Killer est telle que je l'avais imaginée. Lente, froide, clinique, précise, accompagnée d'un remarquable travail sur le son. Un véritable tutoriel pour tueur en devenir. Mais c'est à la fin de cette séquence que le film semble changer de ton. Il bascule tout à coup dans le domaine du film de vengeance assez classique. Après sa mission ratée, la famille du tueur se retrouve menacée. Ce dernier se décide donc à traquer chacun des coupables.
Cette bascule inattendue de genre laisse en premier lieu un sentiment d'incompréhension au spectateur. La promesse d'un film du tueur semble s'effondrer pour se vautrer dans les clichés du film de vengeance. Le pire étant que cette vengeance est dénuée d'enjeu et d'émotion. La femme du tueur n'est qu'un personnage secondaire qui apparaît 30 secondes à l'écran, pour justifier la quête de vengeance. D'ailleurs, son sort ne semble guère émouvoir le personnage principal. Bref, ce changement de cap a de quoi étonner. Mais est-il vraiment négatif ?
Beaucoup se sont plaints du changement de ton évoqué plus tôt. Mais résumer The Killer a un film de vengeance serait vraiment dommage. Puisqu'en tant que tel, il s'agit d'un mauvais film de vengeance. Ou plutôt d'un film qui s'amuse avec les codes du genre et prend constamment le contre-pied. Il n'y a a donc pas d'émotion dans la vengeance. Le sentiment grisant de rendre la pareille est complètement absent. Au contraire, le personnage principal exécute ses victimes comme s'il s'agissait de simples contrats. L'empathie est absente. Et le tour de force de David Fincher est de tenir cette ligne jusqu'à la fin du film. Cette vision qui s'articule autour de contrats rentre en résonance avec l'esthétique ultra capitaliste de The Killer. C'est un thème cher à Fincher et il se ressent fortement ici, à travers des détails (le personnage qui mange un MacDo ou va chez Starbucks) mais aussi de vrais éléments scénaristiques, et la ruse basée sur Uber Eats. Ironique à quel point le métier de tueur s'inscrit dans notre époque, avec cet ennui, conjugué à une connexion permanente. Le personnage de Michael Fassbender n'est qu'un parmi d'autres, loin des clichés du genre à la Hitman. Sa quête ? Simplement être tranquille et finir le film dans une chaise longue, sans pour autant avoir rendu justice. Juste faire ce qu'il faut faire. Rien de plus. Jubilatoire ou frustrant ?
The Killer devient beaucoup plus grisant à regarder quand on comprend son objectif. Le personnage principal ne tue pas par vengeance ; il tue pour se protéger. Ainsi, les faibles sont tous assassinés, sans aucune pitié, victimes du système libéral. Tandis que les puissants sont épargnés, du fait de leur place de dominants. De cette farce naît une frustration évidente chez le spectateur, habilement cultivée par un facétieux David Fincher. Pourquoi tuer le jeune chauffeur de taxi ou la secrétaire innocente et pas le gros bonnet ? Parce qu'on n'est pas dans un film qui fantasme la vengeance. Chacun est victime du système et doit se plier à sa volonté. Même le tueur.
On pourra cependant regretter les longs monologues du tueur, qui se révèlent souvent assez vain. Même si le discours sur le capitalisme donne de la matière au film, ces tirades sont trop longues et semblent uniquement servir à combler les silences.
Pour conclure, The Killer est une œuvre complexe. David Fincher va au bout de son concept, au risque de frustrer les spectateurs et d'en abandonner sur le bord de la route. Mais le jeu en vaut la chandelle ; le travail de déconstruction du film de vengeance, dans un monde capitaliste, est savoureux.