Après un contrat raté, un tueur à gages se bat contre ses employeurs et lui-même, dans une mission punitive à travers le monde.
Ce pitch extrêmement concis laisse entrevoir un film très classique, déjà vu des centaines de fois au cinéma. Dans les faits, The Killer propose un scénario effectivement très convenu, suivant des codes bien connus du thriller traditionnel, et raconté à travers un chapitrage un brin archaïque.
Mais résumer la dernière proposition de David Fincher à un simple film d’exploitation serait une grossière erreur...
Le film nous plonge dans la tête d’un tueur à gages, froid et sans aucun scrupule, mais surtout d’une méticulosité maladive. Chaque geste, chaque mouvement, chaque battement de cœur est analysé et perfectionné.
Les pensées du tueur sont régulièrement communiquées au spectateur à travers une voix off. Une routine est notamment répétée, dévoilant son caractère glaçant et imperturbable :
Respecte le plan. Anticipe. N'improvise pas. Ne fais confiance à personne. N'aie pas d'empathie. Ne mène que le combat pour lequel on te paye.
Cette maniaquerie et cette quête obsessionnelle d’une exécution parfaite n’est pas sans rappeler le travail de Fincher lui-même, connu pour être particulièrement minutieux sur les plateaux de tournage, et n’hésitant pas à refaire certaines prises des centaines de fois.
Mais au vu du résultat final, on ne reprochera pas à ce bon vieux David d’être aussi rigoureux. Que ce soit au niveau de la photographie, du cadrage ou de la mise en scène, la réalisation de Fincher est réellement bluffante. Le cinéaste livre une palette de plans absolument millimétrés, et s’amuse même à épouser l’extrême minutie de son personnage principal, en filmant de manière quasi-charnelle chacun de ses faits et gestes.
Cela donnera notamment lieu à une séquence d’ouverture tout bonnement extraordinaire, décrivant rigoureusement la préparation du tueur pour l’assassinat d’une cible avec un fusil de sniper.
Au-delà de la partie visuelle irréprochable, il faut vraiment noter le travail sur l‘ambiance sonore du film. La retranscription et l’utilisation des sons diégétiques est d’un niveau rarement vu au cinéma, nous ancrant perpétuellement dans les ressentis du personnage principal. De quoi nous faire regretter encore plus de découvrir le film devant Netflix, sur notre canapé, et pas en salles...
L’alliance entre cette maestria technique et sonore conduira en particulier à une séquence de baston ultra mémorable dans le deuxième tiers du film, dont la violence inouïe est non seulement renforcée par un découpage millimétré et des mouvements de caméra brillants, mais aussi par des coups portés et reçus qui résonnent inlassablement dans les oreilles des spectateurs.
Le film n’est pas un film d’action, mais bien un film d’assassin. Même si l’exécution finale des crimes est évidemment présente, le film dépeint avant tout les parties plus méconnues et ennuyeuses du métier de tueur à gages : la préparation, les phases d’attente interminables, les nuits de sommeil constamment interrompues, et bien sûr, le nettoyage.
Il est néanmoins extrêmement jouissif de voir toutes ces étapes, et de suivre ce personnage surentraîné et quasi-infaillible mener à bien ses plans, à la fois tordus et profondément ingénieux. C’est littéralement comme si vous lanciez une partie de Hitman, et que toutes vos actions s’enchaînaient avec une fluidité parfaite.
Le film s’amuse par ailleurs à montrer qu’à une époque hyper connectée, et donc supposément ultra sécurisée, le contrôle du mal et des méfaits n’est en réalité qu’une vaste illusion. Au contraire, l’explosion de la technologie et du consumérisme ne semblent qu’aider l’assassin à parvenir à ses fins : il consomme chez McDonald’s pour se fondre dans la masse, utilise Uber Eats pour ouvrir le portail d’une résidence, commande des copieuses de badges sur Amazon pour accéder à une entrée, prévoit sa filature à l’aide de Google Maps, et voyage même de pays en pays (afin de commettre ses crimes) à l’aide de miles accumulés.
Cette plongée dans l’esprit du tueur est aussi l’occasion d’assister à son introspection, et la remise en question progressive de sa condition et de sa place au sein de la société. Cet aspect est néanmoins trop peu exploité, et l’ensemble sonne un peu creux, en particulier à côté de l‘immense attirail technique déployé.
Par ailleurs, le film est segmenté en six chapitres, représentant six phases très distinctes, et ce dans six destinations différentes. Ce chapitrage est intéressant, puisqu’il permet de renouveler à la fois l’ambiance et les enjeux du récit. Cependant, il met également beaucoup plus facilement en lumière la différence de qualité entre les diverses séquences du film. Entendons-nous bien, chaque chapitre est très bon, et permet de mettre en avant une nouvelle facette du tueur. Mais à vouloir placer la barre très haute, en particulier avec une séquence d’ouverture aussi puissante, difficile de ne pas avoir des attentes un peu trop élevées pour le reste du long-métrage...
Porté par un Michael Fassbender impérial, et sublimé par une réalisation de Fincher chirurgicale, The Killer atteint (quasi) parfaitement sa cible. Net, et sans bavure.