Avec le début des années 80, la mode du film de Kung Fu est en train de s'éteindre au profit de comédies d'action contemporaines à la Aces Go Places. Dans le petit monde des chorégraphes/réalisateurs, le premier à avoir senti le vent tourner fut Samo Hung avec son Carry On Pickpocket puis sa série des Lucky Stars. Ce recadrage rapide fera d'ailleurs de lui le champion du box office durant l'ensemble des années 80.
Lau Kar Leung tentera de contre attaquer en 1983 avec ce Lady is the Boss. Ici, plus de costumes d'époque ou arrière fond Shaolinesque mais un Hong Kong contemporain, furieusement typé ! Lau en rajoute même des couches dans les fringues (il transforme ses personnages principaux en véritables Village People !) et autres modes de l'époque (séquence d'action à base de BMX, scènes de discothèques...) afin de bien faire comprendre qu'il peut être en phase avec son temps. Soyons honnête, la démonstration manque de crédibilité, cette surenchère ne captant le plus souvent que le coté superficiel de l'époque. Yuen Woo Ping tombera d'ailleurs dans le même piège, 2 ans plus tard, avec son Mismatched Couples.
Mais Lau en resituant chronologiquement son film ne s'est pas totalement abandonné à la mode du moment et conserve une thématique qui lui est propre. Lady is the Boss met donc au premier plan le classique conflit tradition/modernité, le tout avec, plus dilué, les habituelles idées du réalisateur sur la transmission martiale et sa vision philosophico-pédagogique des arts martiaux.
Le conflit tradition/modernité reprend de manière inversée la situation de My Young Auntiee (film frère de Lady). Dans le long métrage de 1981, Kara représentait la tradition et Hsiao Ho la modernité. Ici, c'est la jeune femme qui personnifie les valeurs modernes et Hsiao Hou est dans les traces du vrai gardien de la tradition, le grand Lau sifu en personne.
Le risque de ce type de sujet c'est la simplification : Faire de l'un des camps le seul détenteur de la vérité. My Young Auntie avait d'ailleurs parfois tendance à tomber dans le piège. A première vue, Lady is the Boss semble présenter le même défaut : Les méthodes de Kara ont l'air superficielles, elle ne s'intéresse qu'à l'argent et au coté « show » des arts martiaux là où Lau Kar Leung prêche un enseignement authentique, empreint de valeurs morales de son art. Mais les apparences sont trompeuses, et si l'on y regarde plus en détails on se rend compte que le maître a affiné son discours depuis My Young Auntie.
En effet, Kara est loin d'apporter que du mal : Sa vision plus démocratique des arts martiaux peut même se rapprocher de celle de San Te (le héros de la 36th Chamber Of Shaolin) et cherche à faire valoir tolérance et égalité. Des valeurs on ne peut plus positives ! Le film illustre cet aspect quand l'école a recruté des élèves dans tous les milieux les plus inattendues possibles (prostituées, gays, fétards...). La collaboration apparaît d'abord impossible, les premiers disciples (produit de l'éducation martiale de Lau) ne parvenant pas à les motiver, prisonnier qu'ils sont de leur vision rigide des arts martiaux. Seul Kara est suffisamment ouverte pour savoir comment les prendre et les intéressera ainsi au Kung Fu. Comme quoi l'approche moderne a aussi du bon. Les arts martiaux ainsi enseignés vont même devenir, dans le cas des prostituées, un véritable instrument de libération ! Un outil dans la lutte contre l'exploitation (féminine en l'espèce mais l'idée est certainement plus large) qui ne peut être que salué et illustre bien cette vision positive des arts martiaux que Lau Kar Leung s'évertue de films en films à faire passer.
Mais et l'action dans tout ça me demanderez vous ? Aucun souci la dessus, le maître n'a pas perdu la main. Lady is the Boss se distingue par une approche très ludique des combats. C'est d'ailleurs particulièrement surprenant quand on sait que l'année d'après Lau réalisera The 8 Diagram Pole Fighter, son film le plus noir et le plus violent !
Le début du métrage présentant la situation et les personnages, les occasions d'en venir aux mains sont assez réduites. Il faut attendre la moitié du film et l'arrivée des méchants pour que les choses commence à devenir sérieuses. Les combats vont alors s'accumuler avec une intensité en crescendo pour culminer lors de l'incontournable duel Lau Kar Leung/Johnny Wang Lung Wei. Mêlant inventivité et légèreté, le sifu signe de véritables petits moments de bonheur chorégraphiques : Un combat en aveugle dans une boite de nuit (voir Lau et sa troupe danser sur de la musique disco c'est quelque chose !), une course poursuite en BMX et surtout la séquence de fin dans un gymnase où chaque agrès est utilisé et où le réalisateur chorégraphe s'auto cite (The 36th Chamber Of Shaolin et Mad Monkey Kung Fu) pour notre plus grand plaisir !
A chaque fois, la réalisation est fluide, les chorégraphies exigeantes et nerveuses. On retrouve l'excellence de My Young Auntie, tout particulièrement quand le maître intervient himself (sa maîtrise et sa vitesse sont phénoménales !). Seul point noir, à mettre une nouvelle fois en parallèle avec My Young Auntie : La quasi exclusion de Kara Hui vers la fin du film alors qu'il s'agit tout de même d'un véhicule pour la jeune femme. Mais étant donné la superbe résultat du final en l'état, on ne boudera pas notre plaisir juste pour cela.
Léger mais cohérent dans son propos et intense dans ses combats : Lady is the Boss est un pur film de maître Lau, œuvre jumelle de My Young Auntie, et par conséquent à visionner impérativement !