Tourné en Super 8 et en vidéo par impératif économique mais aussi en réaction au professionnalisme inhibant de l'industrie cinématographique, The last of England prend la forme d'un poème filmique sombre et rageur faisant le portrait d'une Angleterre plongée dans le chaos en pleine période Thatcher.


Les images sombres en noir et blanc ou monochrome pourpre contrastent avec de rares archives en couleur venant directement de la famille du cinéaste. La destruction du monde telle que Jarman la dépeint s'accompagne d'une voix off récitant un texte écorché oscillant entre naïveté, désespoir et colère. La bande son composée de musique new wave, rock ou classique se voit constamment fracturée par des bruits d'armes ou de coups aux intonations métalliques.


Totalement immersif, The last of England déverse un flot continu de scènes parfois douces mais le plus souvent violentes entrelacées de tableaux fétichistes au gré d'un montage brutal, parfois clipesque, qui ne reprend que rarement son souffle : un jeune homme piétine l'image agrandie d'un corps dénudé avant de s'y frotter, un autre jeune homme s'enlace nu à un militaire, une jeune mariée lacère sa robe, des soldats s'arment et exécutent des condamnés, des constructions en ruine s'effondrent sous les coups de masse...


Une séquence montrant un jeune SDF nu mangeant un chou-fleur résonne étrangement avec la scène de Lee Kang-sheng dévorant un chou chinois dans Les chiens errants de Tsai Ming-liang. Si ce rapprochement ne tient peut-être qu'au hasard, les images de Jarman renvoient constamment à celles d'autres artistes qui, à la marge comme lui, peignent la violence du monde.


La fulgurance formelle et la rage désespérée qui habitent The last of England le parent d'un lyrisme ravageur. Jarman y expérimente un art total et revendicatif, un art de combat qui livre sans cesse « la bataille pour un cinéma qui mûrit, qui exploite les expériences directes de l’auteur comme le font les autres formes d’art, qui se dresse contre les corps constitués et déclare que la base du travail, c’est l’expérience. »


À noter, la présence de celle qui deviendra la muse et l'amie de Jarman, la jeune Tilda Swinton qui a débuté un peu plus tôt avec lui dans Carravagio.

pierreAfeu
8
Écrit par

Créée

le 21 juin 2017

Critique lue 338 fois

4 j'aime

pierreAfeu

Écrit par

Critique lue 338 fois

4

D'autres avis sur The Last of England

The Last of England
stebbins
9

A bitter tomorrow

Une œuvre erratique, kaléidoscopique, au montage azimuté mêlant un amas d’images d’une puissance pour le moins stupéfiante. Derek Jarman, fidèle à sa réputation de cinéaste underground, s’attèle à...

le 21 juil. 2017

3 j'aime

The Last of England
JM2LA
5

Un peintre au mieux

Il est formidable de n'en faire qu'à sa tête, encore faut-il qu'elle forme un projet qui corresponde à l'art dans lequel il se développe. Au mieux, Jarman est un peintre. Cela nous vaut des visions...

le 14 oct. 2017

2 j'aime

Du même critique

Nocturama
pierreAfeu
4

The bling ring

La première partie est une chorégraphie muette, un ballet de croisements et de trajectoires, d'attentes, de placements. C'est brillant, habilement construit, presque abstrait. Puis les personnages se...

le 7 sept. 2016

51 j'aime

7

L'Inconnu du lac
pierreAfeu
9

Critique de L'Inconnu du lac par pierreAfeu

On mesure la richesse d'un film à sa manière de vivre en nous et d'y créer des résonances. D'apparence limpide, évident et simple comme la nature qui l'abrite, L'inconnu du lac se révèle beaucoup...

le 5 juin 2013

51 j'aime

16

La Crème de la crème
pierreAfeu
1

La gerbe de la gerbe

Le malaise est là dès les premières séquences. Et ce n'est pas parce que tous les personnages sont des connards. Ça, on le savait à l'avance. Des films sur des connards, on en a vus, des moyens, des...

le 14 avr. 2014

41 j'aime

21