S'ennuyant comme un rat mort dans la plantation de caoutchouc de son mari, Leslie Crosbie a passé le temps avec un amant. Mais celui-ci l'a quittée pour sa maîtresse chinoise. N'étant pas parvenue à le faire revenir à elle, l'honnête épouse outragée, l'abat dans un accès de rage. Leslie aurait pu faire passer cela pour un acte de légitime défense face à une tentative de viol, si la maîtresse chinoise n'était en possession d'une lettre incriminante...


Cette adaptation d'une pièce de Somerset Maugham aura le droit à un remake, réalisé par William Wyler, en 1940, avec Bette Davis dans le rôle principal. Version avec de nombreuses différences pour respecter le Code Hays, alors en vigueur à l'époque. Pour The Letter 1929, année qui marque le début d'une délicieuse oasis de cinq années avec un piquant parfum de subversion, pendant laquelle un personnage de cinéma américain peut dire explicitement qu'il a une maîtresse d'une autre ethnie et un film avoir une fin de ce type, mais je vais revenir sur cette dernière plus tard et en spoiler.


Pour l'anecdote, au passage, Herbert Marshall qui joue ici le rôle du suave et cynique amant assassiné, interprétera dans le film de Wyler, le malheureux mari cocu.


Autrement, c'est le pénultième rôle de Jeanne Eagels, actrice qui, pour son interprétation, aura l'honneur pas du tout enviable d'être la première personne à recevoir une nomination posthume pour un Oscar. Une vie trop chargée d'alcool, de médicaments et de drogues lui laissera juste le temps de tourner un deuxième et dernier film parlant (perdu selon IMDB !), avant de la faire passer brutalement dans l'autre monde à l'âge de 39 ans. Son interprétation d'une femme adultère meurtrière, théâtrale, fébrile et extatique, est bizarrement assez marquante. Ce n'est pas un jeu d'actrice conventionnel et pour cette raison, il est fascinant. On retrouvera quelques traces de ce genre d'incarnation chez Bette Davis et Joan Crawford, mais sous une allure plus froide et maîtrisée. Dommage qu'on ait actuellement que ce seul témoignage sonore du talent de cette comédienne.


Du point de vue de la mise en scène, on est en 1929, donc le cinéma parlant en était évidemment à ses balbutiements. La caméra reste assez statique, à part un travelling au début pour nous faire entrer dans la maison de la future criminelle, et les scènes sans dialogues ne sont pas, pour la plupart, sonores.


En ce qui concerne le scénario, on a un lot de choses très intéressantes que seule l'audace de la période a permis. La protagoniste, lors de son procès, qui, en accusant faussement la victime d'avoir tenté de la violer, pour justifier son crime, ne peut pas s'empêcher de ressentir des frissons de plaisir en repensant aux rapports sexuels bien consentis avec feu son amant ; la maîtresse chinoise de ce dernier qui humilie l'assassin en lui demandant de se mettre à genoux, dans un cabaret malfamé, avant de lui remettre la lettre accusatrice ; et, évidemment, la fin.


La version de 1940 se terminait par la mort du personnage principal. La morale avait ainsi le dernier mot. Ici, point du tout, mais, pour autant, on est très loin du happy-end pour le personnage principal. Au contraire, c'est même pire. Le mari, au courant du contenu de la lettre, lui promet une dure vie de captive, elle, en échange, lui crache qu'elle n'aime que l'homme qu'elle a tué. Sympa l'ambiance. Une brutale corde de chanvre aurait été un sort bien moins cruel que ce poison lent.


En résumé, cette rareté, par son audace Pré-Code et pour l'interprétation de son actrice principale, vaut le détour.

Plume231
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le 12 juin 2020

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