(ultra) Light my fire
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L’épreuve du deuxième film, surtout après une première œuvre qui aura su marquer les esprits et qui, à son niveau, fait déjà figure de classique, a toujours quelque chose de trop attendu et d’évidemment casse-gueule. Après The witch, le nouveau projet de Robert Eggers (initialement un remake du Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau qu’il a toujours en tête) suscitait donc autant de désir que d’impatience, et que quelques indiscrétions attisaient davantage : Willem Dafoe et Robert Pattinson en acteurs principaux, tournage difficile et prises de bec (Pattinson a failli en venir aux mains avec Eggers), image format 4/3, réalisation en noir et blanc avec lentille d’objectif comme au bon vieux temps, spécialement recréée pour l’occasion…
Moins âpre et troublant que The witch, mais magistral quand même, moins subtil aussi parce que Eggers a préféré cette fois être beaucoup plus expressif, quitte parfois à flirter avec l’excès, dans la manifestation de la folie qui s’empare de deux gardiens de phare sur une île inhospitalière vers 1890, The lighthouse (qui s’inspire visiblement du mystère des disparus du phare d'Eilean Mòr) confirme en tout cas le talent d’Eggers, d’un point de vue scénaristique et esthétique, à renouveler les canons du genre de l’horreur et de l’épouvante. Il faudra voir, à l’avenir, s’il continue d’explorer cette voie-là (en prenant garde de ne pas se répéter dans ses effets ni dans ses intentions) ou s’il s’aventurera vers d’autres horizons (le thriller ou la science-fiction lui conviendraient pas mal).
Là où il s’emparait, dans The witch, des folklores de la sorcière et de la forêt, Eggers exhume dans The lighthouse tout un imaginaire marin fait de flots déchaînés et de tempêtes vengeresses, d’alcools forts et de récits épiques, et du bestiaire qui va avec (mouettes hargneuses, sirène tentatrice au cri strident, tentacules monstrueux, dieu aquatique). Mais le fond reste le même : c’est d’extrémisme et de superstitions que la démence se nourrit, et que le chaos se manifestera. À l’instar, dans The witch, de cette famille puritaine décimée par leur refus d’affronter objectivement la réalité, Thomas et Ephraim flanchent peu à peu face à l’isolement, la promiscuité et la dureté de leur tâche, se retranchant eux-aussi dans l’abandon d’obscures croyances qui les mèneront à leur perte.
Eggers entretient troubles et interrogations pendant toute la durée de son film, si bien qu’on ne sait jamais vraiment si les deux hommes sont réellement victimes de visions et de phénomènes surnaturels, ou si le phare renferme bien un mystère et une vérité jalousement défendue (de l’ordre du divin ?), ou si l’aliénation est avant tout intérieure, aiguisée par la solitude et la violence des éléments. Et si le dernier plan évoque Prométhée punit d’avoir dérobé le feu sacré de l’Olympe, apportant in fine une sorte de dimension mythologique à l’ensemble, The lighthouse reste suffisamment ouvert aux interprétations pour que le spectateur puisse, s’il le veut, créer sa propre histoire.
Willem Dafoe et Robert Pattinson livrent quant à eux des prestations qui vont bien au-delà du simple jeu. Eggers n’a d’ailleurs pas hésité à les pousser dans leurs ultimes retranchements, psychologiques autant que physiques (voire principalement physiques). Et si Dafoe n’a évidemment plus rien à prouver (tout en sachant encore nous surprendre), c’est bien Pattinson qui impressionne dans un rôle où on l’a rarement vu aussi possédé et investi, que ce soit chez David Cronenberg, Claire Denis ou les frères Safdie. Vociférants, hagards et enragés, ils forment un duo étonnant, pierre angulaire de cette expérience visuelle et sensorielle venant confirmer la puissance créatrice d’un cinéaste, fan de Stanley Kubrick et de Philippe Grandrieux, qui promet d’être tout aussi exigeant (tant mieux) que passionnant (tant qu’à faire).
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