Lorsque je me suis jeté à bras ouverts dans le cinéma asiatique à la fin des années 90, entendez par là lorsque j’ai découvert l’import, tout un monde s’est ouvert à moi. Mais en tant qu’étudiant sans le sou, les finances étaient donc limitées et il a fallu faire des choix. Je ne pouvais pas tout acheter, je ne pouvais pas tout voir, et ayant mis un pied là-dedans dès mon plus jeune âge avec des films de Bruce Lee, de Jackie Chan, puis de John Woo, je me suis naturellement tourné vers le cinéma de Hong Kong, délaissant, à quelques exceptions près le cinéma japonais qu’on me ventait pourtant. L’avantage d’avoir fait cela, c’est que je peux aujourd’hui de nouveau, 25 ans après, avoir cette sensation de découverte de tout un cinéma, de découverte de réalisateurs cultes, d’œuvres qui ont marqué à leur époque. Grâce à Spectrum Films, je découvre aujourd’hui un réalisateur que beaucoup connaissent déjà, ne serait-ce que par son film culte House (1977), à savoir Nobuhiko Ôbayashi, via le coffret que l’éditeur lui a consacré. Rick s’est occupé de The Aimed School, je me suis chargé de The Girl Who Leap Through Time, un film pas parfait mais pourtant ô combien attachant.
Sorti à l’international sous plusieurs titres différents (The Little Girl Who Conquered Time, Girl of Time, The Girl Who Cut Time et donc The Girl Who Leapt Through Time chez nous), The Girl Who Leap Through Time est l’adaptation de la nouvelle japonaise La Traversée du temps de Yasutaka Tsutsui sortie en 1967. Bien que déjà adaptée auparavant pour la télévision (en 1972 avec le feuilleton Time Traveler), il s’agit de la première adaptation pour le grand écran et le succès est retentissant puisque le film rapporte plus de 4.7 milliards de Yens au Japon, devenant ainsi le 2ème film le plus rentable de 1983. D’autres adaptations verront le jour par la suite comme celle de 1997 avec Nana Nakamoto, celle de 2010 avec Riisa Naka ou encore le film d’animation de Madhouse de 2006 (qui est en quelque sorte une suite de la nouvelle originelle) avec la voix de Hara Sachie. The Girl Who Leap Through Time nous raconte l’histoire de Kazuko qui rencontre un mystérieux étranger qui regarde tout comme elle le ciel lors d’une sortie à l’école de ski. Ou alors le connait-elle depuis toujours ? Alors que les sentiments amoureux se font de plus en plus forts, des choses étranges arrivent à Kazuko. Elle vit des moments qu’elle semble avoir déjà vécus et elle se réveille à l’intérieur de ses rêves. Est-ce son esprit qui lui joue des tours ? Arrive-telle à manipuler le temps ? Ou quelque chose de plus grand est-il en train de se jouer ? Il est fort probable que Danny Rubin et Harold Hamis aient vu The Girl Who Leap Through Time pour pondre leur Un Jour Sans Fin (1993) avec Bill Murray. Cette histoire de jour qui recommence est le point de départ des deux récits, mais les films sont complètement différents. Là où le film de 1993 met ce point de départ au centre du récit, le film d’Ôbayashi ne s’en sert qu’en toile de fond pour raconter une histoire d’amour. Mais surtout, via cette thématique de voyage dans le temps, le réalisateur japonais va surtout parler de jeunesse, de l’éveil de l’amour, de nostalgie, de la mémoire, des rencontres manquées. Comme dit en introduction, je ne connais que peu la filmographie d’Ôbayashi, mais il semblerait qu’on y retrouve certaines de ses préoccupations habituelles.
La mise en scène de The Girl Who Leap Through Time est réussie, avec cette caméra qui sait mettre en valeur son personnage central, avec ses panoramiques qui nous immergent immédiatement dans cette époque. La photographie l’est tout autant, avec de très beaux plans et des jeux de lumière réfléchis. Certains procédés visuels font certes datés aujourd’hui. Effets stroboscopiques, effets de colorisation, des transitions par effacement, mais aussi des effets de jump-cut, des arrêts sur image. Ça donne au film un côté un peu désuet, un peu rétro, un peu kitch, mais qui va pourtant aller en sa faveur car ces moments deviennent rapidement poétiques, presque hors du temps. Mais ces procédés sont aussi là pour évoquer que le temps ne suit pas son rythme normal et Ôbayashi va jouer avec cette perception, mais aussi avec nos sens. Les couleurs, la musique, le montage, tout est là pour nous informer de manière subliminale la logique interne du film. Et on ne sait par quel procédé miraculeux, les images, les dialogues et les sons arrivent à nous faire ressentir les odeurs. Difficile de décrire ce qu’on ressent lors du visionnage mais les faits sont là. Lorsque la jeune Kazuko nous parle de lavande, c’est tout le sud-est de la France qui nous monte dans les narines. Il faut par contre arriver à rentrer dans l’ambiance de The Girl Who Leap Through Time et surtout ne pas être dérouté par son rythme languissant. Car, il faut se l’avouer, le film est relativement long à démarrer. On comprend que le réalisateur cherche à bien installer ses personnages, son ambiance particulière, mais les « voyages dans le temps » n’arrivent réellement qu’à 50 minutes environ. Là, les enjeux se font plus nets, bien qu’ils ne soient pas non plus réellement appuyés et on pourra reprocher à la deuxième moitié du film d’être parfois tirée par les cheveux. Et pourtant, on ne s’ennuie jamais car on se laisse porter par cette douce mélancolie et cette douce nostalgie qui émanent du film. De léger, The Girl Who Leap Through Time va se transformer petit à petit en film doux-amer. Il ne s’agit pas ici d’une simple histoire d’amour, il met surtout puissamment en scène la tragédie d’une rencontre manquée. Car lorsqu’on réalise que ce qui aurait dû être n’a pas eu lieu, on se retrouve avec une certaine tristesse lorsque le générique de fin retentit. Là où Ôbayashi est fort, c’est qu’il nous fait redécouvrir des sentiments qui sont familiers à tout le monde, mais par des moyens inattendus qui nous permettent de les explorer d’une autre manière. La fraicheur de la jolie idole Tomoyo Harada y est sans doute pour beaucoup car, bien qu’elle soit hésitante par moments (c’est son premier film), elle arrive parfaitement à retranscrire chacune des émotions par lesquelles passe son personnage. Dommage que le reste du jeune casting ne soit pas du même acabit.
Non, The Girl Who Leap Through Time n’est pas parfait. Mais laissez-vous porter par le voyage à la frontière de l’onirisme, par la naïveté de l’histoire, par ce mélange de mélancolie et de nostalgie. Vous verrez, c’est tout doux.
Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-the-girl-who-leap-through-time-de-nobuhiko-obayashi-1983/