Dans l'anonymat le plus total, l'amour se meurt

Véritable spécimen rare cinématographique, « The Lobster » nous précipite dès son amorce dans un monde dystopique au cœur duquel le célibat est perçu comme une plaie purulente qu’il faut coûte que coûte recouvrir. Recouvrir, pas soigner. Et c’est bien là que réside tout le propos du film.


Avec le secours d’un humour pince-sans-rire et d’une atmosphère pesante, le réalisateur grec Yórgos Lánthimos balise le parcours/traque à l'âme sœur d’un Colin Farrell méconnaissable en célibataire désabusé bedonnant et myope. Ce dernier, d’abord fermement résolu à se plier au canevas normé d’un hôtel-geôle miroir réfléchissant d’une société où le couple apparaît comme une condition sine qua non à l’existence, se lie par la suite avec un groupe de fuyards marginalisés représentatif d’une minorité sociétale qui considère la solitude comme étant le mode de vie idéal.


Il faut voir dans cette œuvre, une fine analyse, parabole et satire des rapports humains en complète déperdition. Ce qui est dénoncé ici, c’est la propension qu’a l’individu moderne à vouloir se mettre en couple à n’importe quel prix. Ce qui y est pointé du doigt, c’est la peur viscérale qu’a l’homme de crever seul. La vérité c’est qu’aujourd’hui, dans cette engeance déshumanisée, une écrasante majorité de personnes ne s’unit plus par amour ; mais parce qu’elle est terrorisée à la simple pensée de l’esseulement. C’est cet état d’esprit qui a fait du microcosme évolué à l’intellect complexe que nous étions du bétail abject tout juste bon à copuler sans sentiment. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si certains décèlent dans la mise en scène et la photographie des similarités avec la télé-poubelle-réalité.
Néanmoins, le film ne prend pas le parti de la solitude et n’en prône pas ses supposées vertus. Loin de là. Une simple écoute au discours tenu par la chef de meute des « solitaires » suffit à s’en convaincre.


Ce que « The Lobster » met en exergue, c’est notre incapacité à aimer réellement et à s’intéresser à l’autre ; le simulacre des émotions que nous cultivons au quotidien. C’est aussi notre vision d’autrui et nos convictions profondes qui y sont bousculées.


« It's no coincidence the targets are shaped like single people, and not couples. »


9/10

Tex_AS
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films A24 et Les meilleurs films de Yórgos Lánthimos

Créée

le 26 sept. 2021

Critique lue 98 fois

1 j'aime

Tex_AS

Écrit par

Critique lue 98 fois

1

D'autres avis sur The Lobster

The Lobster
Sergent_Pepper
6

Société profasciste des animaux.

The Lobster fait partie de ces films qui font les frissons de l’annonce de la sélection, quelques mois avant le festival de Cannes : un pitch singulier, un casting de rêve prêt à se compromettre, et...

le 26 nov. 2015

159 j'aime

16

The Lobster
pphf
4

Homard m'a tuer

Prometteur prologue en plan séquence – avec femme, montagnes, route, voiture à l’arrêt, bruine, pré avec ânes, balai d’essuie-glaces, pare-brise et arme à feu. Puis le passage au noir, un titre...

Par

le 31 oct. 2015

143 j'aime

33

The Lobster
JimBo_Lebowski
5

Lapin mécanique

Je partais avec un sentiment assez contrasté avant de voir ce Lobster, à l’image de mon expérience de deux autres films de Lanthimos, enthousiasmé par Canine et rebuté par Alps, le cinéaste grec...

le 30 janv. 2016

113 j'aime

8

Du même critique

Gladiator II
Tex_AS
3

ARE YOU NOT ENTERTAINED?

Oui, j'ai été diverti et oui, c'est de la daube. A l'instar de plusieurs réalisateurs au cynisme sans limites, Ridley Scott a compris que les seul critère d'évaluation des spectateurs philistins...

le 11 nov. 2024

34 j'aime

8

L'Empire
Tex_AS
4

L'invasion des profanateurs de pop culture

Ma grand-mère disait toujours : "Gamin, il y a une fine frontière entre l'art et le nanar". Illustration empirique ici.J'ai aimé (dans l'ordre) :- les (trop) rares apparitions de Carpentier et Van...

le 22 févr. 2024

34 j'aime

19

Là où chantent les écrevisses
Tex_AS
3

Là où pousse la guimauve

Bah en fait... Comment dire... On dirait que la réalisatrice s'est contentée de lire le résumé figurant sur la quatrième de couverture et en a fait un film de plus de deux heures. Il n'y a absolument...

le 21 août 2022

30 j'aime

2