Avant de se concentrer sur The Lobster précisément, j'ai choisi de concentrer ma critique sur Yorgos Lanthimos car c'est un artiste que j'admire et qui mérite d'être mieux compris.


A l'image d'un Lynch, les films de Lanthimos ne sont pas de ceux que l'on apprécie dès le premier visionnage. Je pense d'ailleurs ne pas avoir été le seul à me dire : "Mon Dieu, qu'est ce que je viens de voir ?" après avoir découvert Canine. Cependant, en le revisionnant une seconde, puis une troisième fois, j'ai réalisé étape par étape que le réalisateur ne s'était pas contenté de montrer une famille de taré dans le seul but de faire le show à Cannes. Chaque scène, aussi étrange soit-elle, est là pour une raison précise et avant tout longuement réfléchie en amont. S'il est vrai que le cinéma du grec laisse un certain nombre de personne sur le banc de touche en raison de son aspect déjanté, il reste pourtant très loin d'un absurde comique de simple anti-conformiste comme peuvent l'être les films de Dupieux (à l'exception de Réalité, qui était plus abouti).
Par exemple, La scène dans Canine où le père annonce à ses enfants que leur mère va donner naissance à un chien : Il ne s'agit pas uniquement d'une réplique pour faire rire le spectateur. L'idée de fond est que le père veut faire venir un chien chez lui, mais s'il l'amène comme ça, sans explication, les enfants vont se demander "Pourquoi y a-t-il ces animaux à l'extérieur et pas chez nous ? Qu'y a-t-il d'autre au dehors que nous ne connaissons pas ?" Et ainsi de suite. L'explication de la naissance par la mère permet donc de faire croire que le chien viendra de l’intérieur de la maison et donc n'attisera pas la curiosité des enfants, maintenant ainsi leur enfermement psychologique.


Si l'on prend le temps d'analyser la filmo du réalisateur, certes courte car encore adolescente, mais déjà emblématique d'une étoile montante du cinéma; on se rend compte qu'il remet en question, à travers ses films, certains aspects de la société actuelle. Et ce qui est vraiment intéressant dans cela est la manière qu'il a de s'y prendre. En effet, il réussit à mettre en avant ces défauts de la société grâce à une déformation ostentatoire de la réalité. Communément, on appelle ça une démonstration par l'absurde : Le réalisateur s'empare d'un sujet qui lui tient à cœur pour le tordre, l'étirer, et le déformer ainsi que de la pâte à modeler. Il en résulte une version reconnaissable mais particulièrement étrange de notre réalité. Cette méthode permet non seulement d'exposer son sujet de façon innovante et captivante tout en laissant méditer le spectateur, mais aussi de faire de l'Art. Du pur art surréaliste qui vous retourne le cerveau et vous en met plein la vue.
Le plus impressionnant dans son oeuvre est qu'il ne se contente pas d'étirer son idée folle sur 90 minute pour bien la montrer, il parvient à la développer en profondeur pour en extraire un réel questionnement.



  • Dans Canine, le sujet était la surprotection des enfants, ce qui amène les questions suivantes : Quelle part doit-on laisser au libre-arbitre dans l'éducation de ses enfants ? Quelle est la limite entre l’éducation et le dressage ?

  • Dans Alps, il s'agissait du deuil. Et la question : Le souvenir d'un défunt est-il un obstacle au deuil ?

  • Et enfin dans The Lobster, Lanthimos expose la thématique du couple dans la vie de tous les jours. La vie de couple est-elle réellement nécessaire à l'homme ? Jusqu’à quel point deux personnes doivent-elle se ressembler pour que leur relation fonctionne ?


Pour se focaliser un peu plus sur le film en lui-même, nous pouvons remarquer que le réal s'améliore à chaque film car il faut reconnaître que si Canine part d'une idée géniale, la mise en scène souffre des légers défauts assez récurrents en début de carrière. Aujourd'hui, avec The Lobster, il nous prouve que premièrement il a plus de moyens (acteurs connus et internationaux, décors qui s'élargissent, effets visuels plus aboutis, etc.), et ensuite qu'il parvient à maîtriser son style pour pouvoir l'imposer au monde du 7ème art comme sa marque de fabrique.
Style constitué d'un humour décalé un peu similaire à celui de Dupieux, une certaine froideur en plus; D'une critique acerbe et originale du monde actuel et surtout d'un absurde intelligent teinté de surréalisme. Lanthimos n'est plus ce petit réal foufou qui s'était fait remarquer à Cannes en 2009, il est aujourd'hui un artiste à part entière.


L'un des principaux atouts de The Lobster, outre son concept exposé dans les précédents paragraphes, est qu'il nous apporte son lot de scènes émouvantes et profondes que la froideur des précédents films avait totalement éclipsé. Je pense ici à cette scène marquante dans la forêt où tous les célibataires courent après les solitaires et leur éclatent violemment la tête à coups de poings une fois attrapé, le tout au ralenti sur fond d'une musique sublime et mélancolique, exprimant ainsi la façon dont les célibataires perçoivent cette chasse. Pour eux, c'est parfaitement normal de massacrer ces rebelles, c'est un jeu. C'en est même une fierté lorsqu'ils arrivent à en abattre : Cela leur rapporte des jours supplémentaires dans l’hôtel ainsi que la reconnaissance des autres.


Par la suite, la mise en scène va suivre le cheminement du personnage principal. Comme je viens de l'expliquer, la chasse au début nous est montré comme quelque chose de beau et bien, puis le réal va adapter sa façon de filmer pour que l'on vive ce revirement de point de vue en même temps que Colin Farell. Par exemple, la scène où ils s'embrassent langoureusement sur le canapé pendant que les parents de la chef des solitaires jouent les jeux interdits à la guitare. On est d'abords ébloui par la beauté de ces plans qui semblent suspendu hors du temps, puis on réalise que l'analogie avec cette musique est à la fois subtile et intelligente : Leur faux couple de la ville est un rôle, un jeu qui leur permet de se promener en ville sans être arrêté; mais un jeu interdit. Ils n'ont pas le droit d'être réellement en couple selon le code des Solitaires. Le choix de ce morceau n'est donc pas un hasard.


Pour conclure, je vais m'attarder sur la scène finale. Je ne vais bien évidemment pas la dévoiler, mais je me contenterai de dire qu'elle très typique de Lanthimos, en cela qu'elle rappelle fortement celle de Canine. On sait maintenant comment il aime à terminer ses films et je dois avouer que moi aussi, je trouve que ça a de la gueule. A l'image de sa filmographie en général, elle est choquante, déroutante, osée et surtout terriblement efficace.


Donc voilà. Yorgos Lanthimos, tu m'as fait redecouvrir le 7ème art alors que je l'explorait depuis 10 ans. Je t'admire et j'irai voir chacun de tes films.


P.S. : Je n'ai pas mis le 10/10 car même si l'on sent qu'il commence à vraiment maitriser son style, il est évident qu'il n'a pas encore atteint son "Gladiator", autrement dit son chef d'oeuvre culminant. Après tout ce n'est que son 3ème film. Vivement les prochains !

Yoho_Batman
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le 22 nov. 2015

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Yoho_Batman

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