Ce film me donne le sentiment d'être sa propre bande-annonce mensongère. Ce qui commence comme un bijou d'inventivité et d'humour grinçant se dégonfle en un pamphlet certes vigoureux, mais convenu.
On nous fait d'abord pénétrer dans un univers décalé, intriguant, dont on brûle de découvrir les rouages un à un. On se délecte de son fourmillement d'idées alors que l'on relève un pan, puis l'autre, et au moment de saisir le suivant, c'est tout le reste du rideau qui s'arrache d'un coup. Non pas qu'on nous en mette d'un coup plein la vue pour nous emmener ensuite dans un tourbillon d'un tout autre niveau. Non, c'est simplement qu'à partir de là, le film ne tient plus qu'à une seule idée, qui de plus est bien mal mise en valeur par son éclairage métaphorique.
Tandis que toute la première partie du film tire sa richesse du décalage entre cet irrésistible attrait de l'absurde et la noirceur des contrastes répondant à sa lumière blafarde, il est franchit tout d'un coup un point de non-retour à partir duquel le film ne fera plus que dégringoler d'une pente, dans un unique mouvement, pour achever sa course au fond d'un fossé à l'emplacement prévisible.
Que cette image de la dégringolade et du fossé n'aille pas vous faire imaginer que le film s'étiole jusqu'à devenir médiocre, il vaut largement la peine ! C'est plutôt ici de son ton que je cherche à vous parler, d'abord empreint d'une tendre incongruité qui le rend affectueux ; puis résolument plus sombre, alors que l'on s'enfonce dans une dystopie de plus en plus conventionnelle.
Je peux comprendre qu'il s'agit là, bien loin d'une maladresse, d'un choix délibéré, d'un parti pris. Une sorte de descente aux enfers, en somme, même si l'expression semble ici exagérée (mais l'est-elle vraiment ?). Le film, dans son ensemble, est de bonne facture, mais on aurait aimé qu'il continue à surprendre, une fois son contexte exposé. Delspooner, se penchant vers moi à la fin de la séance, m'a glissé simplement "Il n'exploite pas tout son potentiel". Je pense que cette phrase synthétise bien ma frustration.
C'est comme si, à un moment donné, ce film, qui parvenait parfaitement bien à nous transmettre sa violence psychologique dans un cadre ludique, avait voulu devenir sérieux ; et par là même, il semble devenir gratuit. Le signe précurseur, et symptôme le plus irritant, en est pour moi l'irruption soudaine de ces plans en slow-motion sur une musique pompeuse qui m'ont toujours donné l'impression d'être dans une pub Royal Canin. Je ne vois rien qui les justifie. Or, il faut savoir que ce procédé est ma bête noire, car à moins qu'il ne brille par son esthétisme, j'y vois toujours une marque d'égo.
Enfin, dans l'ensemble, parce qu'elle est beaucoup moins inventive, la deuxième partie du fim semble traîner en longueur. Au moment où elle arrive, on a déjà le sentiment qu'elle est une forme de conclusion ; on s'étonne même de la richesse de son casting pour une partie que l'on s'imagine secondaire, avant de réaliser qu'on va être coincé avec ces personnages moins charismatiques pour un bout de temps. Malgré tout le mal que je dis de ce chapitre, ce n'est pas une purge non plus, qu'on se rassure ! Je le trouve juste un peu décevant au vu de ce que l'on nous a servi en entrée.
Et puis, avouons-le, je vois ici les limites de la Cinexpérience. En effet, contrairement aux films précédemment présentés, The Lobster était un film que j'attendais impatiemment, dont j'avais lu le synopsis et vu la bande-annonce. Je me retrouve donc beaucoup plus sévère avec lui qu'avec, par exemple, un Daddy Cool, qui n'a en fin de compte rien de bien exceptionnel, mais qui pour le coup m'a vraiment prise au dépourvu. C'est bien dommage, car The Lobster regorge d'idées savoureuses, et sans attentes longuement mûries, je me serais sans doute laissée totalement embarquer.
Je me prends ainsi à rêver à ma propre utopie. Ce serait un monde où aucune information ne serait communiquée autour des films, tant pendant leur tournage qu'à leur sortie. On n'aurait jamais aucune idée de ce qui existe. On irait au cinéma muni d'une carte avec un identifiant unique, on se présenterait au guichet et on nous orienterait vers une salle dans laquelle passerait un film qu'on n'aurait pas encore vu.
Bien sûr, après l'avoir vu, on pourrait savoir où est diffusé ce film par la suite, pour pouvoir le conseiller à des amis. Ou bien non, on pourrait aller encore plus loin, et faire des recommandations à l'aveugle ! Le "récepteur" n'en saurait rien, mais à chaque fois qu'il se présenterait au cinéma, un logiciel l'assignerait au film qui a reçu le plus de recommandations de la part de ses contacts. Il faudrait pour cela une base de données permettant de répertorier tous les films qu'il a vu, et en même temps d'ajouter des contacts à qui l'ont fait confiance en termes d'opinion. Un site comme SensCritique, en somme. En fait, c'est peut-être à ça que ressemblerait un monde régi par SensCritique...